Troubles du comportement alimentaire : la descente aux enfers

Une adolescente sur quatre, un adolescent sur cinq, c’est le chiffre alarmant de jeunes touchés par les troubles du comportement alimentaire selon un rapport de santé publique en 2019. Des troubles plus familièrement appelés TCA, qui se caractérisent par des dysfonctionnements en rapport avec l’alimentation. Également appelés anorexie, boulimie ou encore hyperphagie, ils peuvent dans 5% des cas, entraîner la mort. Pour les autres, ils devront faire face à des séquelles à vie. Lina*, 21 ans, revient sur sa maladie.

Une maladie difficile à guérir.

Les TCA, maladie de plus en plus connue par la population, est bien plus profonde et complexe qu’un simple trouble de l’alimentation. « Aujourd’hui, ce sont 600 000 jeunes qui en souffrent en France. Ils sont la deuxième cause de mortalité prématurée chez les 15-24 ans. » confirme l’AABouest. Si la plupart des gens ne s’arrêtent qu’aux problèmes visibles et connus de tous, les malades et soignants le savent, le mental et la vie des patients sont atteints. « J’ai mis beaucoup de temps à en parler, et quand j’en ai parlé, les gens me disaient qu’il fallait juste manger et ça ira mieux. C’est tellement plus dur que cela, c’est comme si la maladie rentrait dans notre cerveau » explique Lina.

En effet, de nombreux effets secondaires apparaissent lorsque la maladie s’installe. Fatigue, fragilité, perte de poids, de cheveux, parfois même de dents avec les vomissements, les conséquences sont désastreuses. « La perte de poids entraîne une chute de l’indice de masse corporelle, donc, le corps est de plus en plus en danger, il va donc supprimer des fonctions pour survivre. Le premier critère pour les filles, c’est la perte des règles » exprime la nutritionniste Charlotte Le Bouedec. Cette aménorrhée, Lina la confirme, « Je ne les ai plus eues plusieurs fois, la période la plus longue, c’était pendant dix mois. » A cela s’ajoute les conséquences mentales, venant aggraver la santé. Pour beaucoup, la maladie prend une place dans les pensées, et entraînent des problèmes de concentration, de discernement, de l’irritabilité, de la dépression. « Les TCA m’ont changée, je n’étais plus moi-même, comme si c’était eux qui me mangeaient petit à petit. Plus personne ne me reconnaissait, moi qui étais pétillante, je n’avais plus goût à rien, c’était horrible » se confie Lina. La santé mentale dégradée, le corps en survie, C. Le Bouedec met en garde « On peut mourir à cause de cette maladie, clairement. »

Une apogée de la maladie, une santé mentale en péril

Mars 2019, la Covid. Il n’est pas inenvisageable que cette triste période ait eu des conséquences sur la santé mentale des citoyens, notamment des plus jeunes. Le confinement a entrainé une hausse considérable de ces troubles et l’interdiction de sortir, de voir ses amis, l’obligatoion de rester calfeutrés dans une chambre a été anxiogène voire désastreux pour certains. « Quand on est en construction psychique, avec une perte de repères, et que tout le monde se retrouve coupé de tout, c’est traumatisant comme expérience », explique C. Le Bouedec. Une atmosphère anxieuse s’installant dans les maisons, les adolescents se voient perdre leurs repères installés. Pour beaucoup, certaines pensées, parfois obsessionnelles, ont pris le dessus. « Pendant le confinement, je me suis dit que c’était un bon moyen pour reprendre le sport, faire attention à mon alimentation, je n’avais que ça à faire. Puis cela a pris une tournure malsaine, je me suis retrouvée à compter toutes mes calories, avoir une obsession pour le sport. Quand la vie a repris son cours, c’était trop tard, j’étais tombée dans les TCA.» se souvient Lina. Dans le monde, 65% de patients atteints de TCA ont constaté une dégradation de leur maladie durant le confinement, selon une étude publiée en août 2021 dans la revue European Eating Disorder Review.

Par ailleurs, les réseaux sociaux jouent un rôle quant à l’augmentation de ces troubles. L’absence d’interactions sociales avec le monde réel lors du Covid, a laissé place à une hausse de la fréquentation des réseaux sociaux pour les jeunes, amenant à un repli sur soi mais aussi à un idéal de minceur prônée sur la toile. « Forcément, pendant ce confinement, j’étais toujours sur les réseaux, j’ai dû voir des milliers de publications avec des filles au corps de rêves. J’avais seize ans, j’étais en recherche de repères, je voulais absolument leur ressembler. Au total, j’ai perdu plus de 15kg », nous raconte Lina. Mais ce n’est pas que cela, sur Internet, la romantisation de la maladie, avec notamment le mouvement Pro-ANA, ayant vu le jour dans les années 2010 a été désastreuse. Un mouvement malsain, prônant la maladie par des blogs de discussion regroupant les personnes atteintes de TCA, et s’encourageant entre elle dans la poursuite de la perte de poids, avec le partage de conseils, de moyens pour se reconnaître entre elles. « Il y a une valorisation de la maladie et on retrouve les dix commandement Pro-Ana qui font assez peur. C’est comme une fierté pour elles. Rien n’est plus important que maigrir dans ce mouvement, même si cela est au détriment de la santé » explique le psychologue J.-M. Dubreuil. Sur la plateforme Tiktok, il en est de même. Des centaines de personnes touchées par ces troubles partagent des vidéos, avec des paroles problématiques, on y retrouve « ce que les TCA m’ont apporté », et d’autre vidéos en tout genre qui, pour beaucoup, viennent redorer l’image de la maladie. Charlotte Le Bouedec rapporte, « Sur Tiktok, on pouvait voir des trends suivies par les jeunes, disant qu’il fallait faire le tour de sa taille avec une feuille A4. Ce genre de chose va vite, l’adolescent a besoin de repères, c’est bien vu de suivre les trends, et finalement, de tomber dans la maladie »

Et pour s’en sortir ?

La guérison des TCA est un long processus. Pour certains, la prise en charge sera faite rapidement, pour d’autres, elle prendra place lors de l’hospitalisation. Celle-ci requiert l’intervention de nombreux professionnels de santé. Médecins, nutritionnistes, psychologues, psychiatres, kinésithérapeutes, à un stade avancé, le souffrant doit rencontrer tout le monde. « Ce sont tous les professionnels qui aident l’adolescent à sortir de la maladie, donc la prise en charge doit être pluridisciplinaire. » expose C. Le Bouedec. Mais avant cela, l’adolescent doit vouloir se faire aider et en parler. Pour Lina, cela s’est d’abord fait avec ses amis. « Ils voyaient bien qu’il y avait quelque chose, au départ, ils essayaient de m’en parler mais moi j’étais comme aveugle, puis à un moment j’ai eu le déclic, alors je leur en ai parlé ». Cela prend du temps, et pour cause ? La honte d’en parler, la peur de ne pas être pris au sérieux.

Pour de nombreuses personnes, ils ne sont pas conscients de la gravité des choses. Pour se faire aider, ils doivent le vouloir. L’association ABouest explique « Il faut le savoir, 50% des jeunes atteints de TCA n’ont pas de prise en charge médicale et le délai d’attente est de quelques mois à cause du nombre important de demandes. » Dans les cas les plus difficiles, les patients sont hospitalisés dans une chambre sans objet, pour leur bien. « C’est le dispositif de la chambre blanche, dans ces cas extrêmes, c’est une décision médicale parce que la personne est menacée par sa vie » appuie J.-M. Dubreuil. Pour Lina, le processus de guérison s’est fait autrement, la présence de ses proches et des consultations chez des professionnels de santé lui ont suffi pour en sortir, même si dans la presque totalité des cas, la guérison prendra des années. Elle termine « La meilleure chose que j’ai pu faire est d’en parler, une fois le déclic eu, il faut beaucoup de courage et de force pour entamer la guérison, cela prend du temps. Aujourd’hui encore j’ai certains moments compliqués, ça restera à vie mais ça ira et tout le monde peut s’en sortir. »

Quelques numéros si vous pensez souffrir ou que l’un de vos proches souffre de troubles du comportement alimentaire. Parlez-en, vous n’êtes pas seuls.

  • Anorexie Boulimie Info Écoute : 08 10 037 037
  • Association Anorexie Boulimie Ouest : 02 40 13 22 49

NDLR : Lina : nom modifié pour anonymat.

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