Au nom de ma fille

Près du port de Saint-Nazaire, une devanture rouge étonne au milieu des bâtiments gris et lorsque l’on pousse la porte, on y retrouve Mahmoud Al Hayek les bras écartés et le sourire aux lèvres. Un accueil témoignant d’une grande générosité.
En fin d’année 2019, il a ouvert son restaurant de spécialités syriennes avec sa femme Reem : « Rand Alep ». Mais derrière ces bras écartés et cette vitalité partagée se cache une histoire funeste.

Alep, c’était sa ville. Avant d’être cuistot il était le chef de la première entreprise informatique de la ville, et fournissait toute la citadelle en réseau. « Quand j’avais vingt ans, j’ai étudié l’informatique à Paris ». Il avait, en ces temps heureux, un métier qu’il affectionnait, une vie harmonieuse. Jusqu’aux années 2011 à 2015, au cours desquelles, avec sa femme et ses quatre enfants, ils découvrent l’enfer. La guerre en Syrie. « Pour aller travailler, je devais me cacher dans la rue pour ne pas me faire tirer dessus par des snipers. Puis un jour, alors que je me dirigeais vers mon entreprise avec un ami, Daech est arrivé. Ils ont tout volé sous mes yeux et m’ont demandé si c’était mon magasin, une Kalashnikov pointée sur mon crâne. Si j’avais avoué que c’était mon entreprise, je serais sans doute mort. »

La ville d’Alep subissait une pluie de bombardements sans répit. La famille Al Hayek vivait dans une grande maison de quatorze chambres, elle a été bombardée trois fois. « On a eu beaucoup de chance, la partie dans laquelle on habitait a été épargnée. Mais lorsque cela a touché de près ses enfants c’était trop insuportable. « Quand j’ai su pour le bombardement, j’ai couru vers l’école. Il y avait des morts. Par chance, mes enfants étaient sains et saufs. »

Partir sans revenir

C’est en novembre 2015 que Mahmoud décide de fuir son pays avec sa femme et ses enfants Asaad, Shahd, Rand et Suhad. « Je ne voulais surtout pas prendre les bateaux c’était trop dangereux. Quand on voit le nombre de personnes noyées… J’ai payé les passeurs plus chers pour fuir par les terres. »

Arrivés en Turquie, leur objectif est de rejoindre les portes de l’Europe en Grèce. A pied, ils marchent plusieurs jours sans manger ni boire. « Ce voyage fut très difficile physiquement et psychologiquement ». Une nuit, à la sortie d’une forêt, ils se retrouvent devant une voie ferrée semblant désaffectée. « Le passeur nous avait dit qu’il n’y avait plus de train ». Mais dans l’obscurité, la famille syrienne se rend compte qu’un train arrive, ils se mettent au plus vite sur le côté pour l’esquiver… Mahmoud tient sa fille de six ans par la main mais un sac glisse sur son épaule, il se penche pour le rattraper et lorsqu’il se relève, sa fille Rand n’est plus là. « Tout est allé si vite, c’était étroit, Rand n’était plus dans ma main, elle s’était faite percuter par ce train » raconte t-il, les larmes aux yeux. Elle décède sur le coup. « J’ai demandé au passeur d’aller chercher de l’aide au village le plus proche, je lui ai donné tout l’argent qu’il me restait. Il a pris le sac mais n’est jamais revenu. »

Arrivés en Grèce, ils rentrent en contact avec l’ambassade de France. La communication n’a pas été un problème grâce à sa connaissance de la langue française et par l’histoire et la souffrance de cette famille. La mairie de Saint-Nazaire monte sa candidature pour les accueillir et ils arrivent le 25 janvier 2016. Mahmoud désirait rejoindre Paris, une ville qu’il connaissait, une ville qui le rassurait après tous ces traumatismes vécus « mais après avoir échangé avec des Nazairiens et découvert l’histoire de cette ville lors de la Seconde Guerre mondiale, j’ai directement eu un attachement. Saint-Nazaire me rappelle Alep et me donne de l’espoir pour mon ancienne ville syrienne. Je comprends la douleur des anciens habitants ayant vu leur cité s’effondrer. » Aujourd’hui, Mahmoud aime Saint-Nazaire et ne veut plus partir.

Revenir de loin, c’est ce qui définit la famille Al Hayek. Entre renaissance et résilience, Mahmoud et sa femme décident de se reconvertir et d’ouvrir leur restaurant. « Après beaucoup de travail et grâce à l’aide des associations nous avons pu trouver un local et monter notre entreprise. » Depuis fin 2019, le restaurant à la vitrine rouge, décoré de grandes toiles de tissu représentant Alep a ouvert ses portes sous le nom de « Rand Alep » en hommage à sa fille. « Saint-Nazaire m’a donné une nouvelle vie dans le calme et la sérénité. Je veux partager en retour mon histoire et tout l’amour que j’ai reçu via ma cuisine, leur montrer ce qu’il y a de bon en Syrie. » dit en souriant Mahmoud Al Hayek.

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