Dans le monde du sport, la performance est centrale et passe souvent par l’amélioration des équipements. Cette quête des sommets s’accompagne de révolutions techniques redéfinissant les règles et l’éthique.
Chaussures à semelles en carbone, vélos équipés de moteurs électriques, maillots de bains ultra hydrodynamiques : la technologie s’invite à tous les étages du monde du sport. Face à ces évolutions, les grandes instances fédérales prennent des mesures, mais il faut parfois accepter certaines avancées sans quoi les cyclistes rouleraient encore sur des vélos de 20 kg au lieu des 7 kg actuels. « L’innovation ne trahit pas l’esprit du sport, elle le fait évoluer. Ce qu’il faut préserver, c’est l’équité et l’intégrité de la performance » explique Julien, ancien coureur et vendeur chez un équipementier de cyclisme. Cependant, l’aspect mécanique inévitable pour le vélo l’est à priori beaucoup moins pour la course à pied ou la natation, qui reposent historiquement sur la simplicité du geste.
Pourtant, les cinq meilleurs temps de l’histoire du marathon ont tous été réalisés avec des Nike Vaporfly aux pieds. Des chaussures dotées de semelles en carbone, qui procurent un rebond améliorant les performances d’environ 4 %. Cela ne pose pas de problème si tous les athlètes en sont équipés, mais toutes les marques ne proposent pas ces technologies, et les athlètes qu’ils sponsorisent se retrouvent alors lésés. Ce déséquilibre alimente les accusations de dopage technologique, une notion encore floue mais de plus en plus évoquée dans les milieux sportifs.
Un déséquilibre à toutes les échelles
Ce phénomène ne s’arrête pas aux compétitions professionnelles, il touche aussi les amateurs. À 275 € la paire, le peloton de tête est souvent fortuné. « L’équipement reste un facteur discriminant. Les grandes nations, les clubs les mieux financés, ont accès à des innovations que d’autres n’auront parfois que des années plus tard » explique Maryse, ancienne coureuse de haut niveau. Ce constat alimente une inquiétude plus large : celle d’un sport à deux vitesses, où la technologie créerait une élite matérielle.
La course à pied est pourtant considérée comme le sport le plus pur de tous : tout le monde peut aller courir, il suffit d’avoir des baskets. Mais les prix délirants atteints par certaines chaussures peuvent dissuader, voire dégoûter de la pratique. « Il faut garder en tête ce que l’on veut préserver : l’émotion, l’effort, la beauté du geste. Si on se concentre uniquement sur la performance, c’est un coup à perdre la passion » avertit Maryse.
« Un marathon qui se passe super bien, c’est du début jusqu’à la fin, je vais être sur ma montre, tous les kilomètres à regarder être attentif à tout et être dans son allure. » Une vigilance permanente, une écoute du corps, une régularité millimétrée, autant de compétences qui pourraient s’effacer derrière la promesse d’une semelle quasi magique.
Ce glissement pose une question centrale : peut-on encore parler de mérite individuel si l’équipement fait la différence ? Les règlements sportifs tentent de s’adapter, mais sont souvent en retard sur l’innovation. « Les fédérations ont du mal à définir des frontières claires entre amélioration légale et dopage technologique. Il faut parfois des mois, voire des années, pour réglementer des équipements déjà utilisés sur le terrain » explique Julien. Ce flou juridique laisse donc un vide où les plus rapides, ou les plus riches, prennent de l’avance.
S’adapter, une nécessité
Faut-il alors créer deux catégories dans certaines disciplines, comme on le fait en sport automobile : naturel et assisté ? La proposition revient régulièrement dans les débats, mais elle reste marginale. « Ce serait reconnaître que la technologie a transformé certains sports au point qu’ils ne sont plus comparables à leurs versions passées » note Julien. Et les records, alors ? Sont-ils encore comparables ? « On ne peut pas vraiment mettre sur le même plan une performance réalisée en 1960 et une autre en 2023 avec des équipements révolutionnaires. Ce n’est pas qu’une question de progrès, c’est un changement de nature » précise-t-il.
Le public, lui, suit encore les performances. Mais jusqu’à quand ? Le spectateur valorise-t-il encore les efforts physiques ou seulement les résultats ? La question est loin d’être anecdotique. Car si le public perd confiance dans l’authenticité du sport, il pourrait bien s’en détourner. Cependant, il y a des choses que la technique ne peut effacer. « Quand j’ai épinglé mon dossard, je suis quelqu’un d’autre. À l’entraînement, je suis une parmi d’autres, mais en compétition, mon mental prend le dessus. C’est ma force. » Un mental que même la meilleure technologie ne peut émuler d’après Maryse.
Finalement, le débat ne concerne pas seulement l’évolution technologique mais la redéfinition même de ce qu’est une performance sportive. « La technologie ne pédale pas à la place de l’athlète » reconnaît Julien, mais elle peut sérieusement faire pencher la balance. La question n’est donc pas de rejeter l’innovation, mais de s’assurer qu’elle ne remplace pas l’effort humain. Alors si l’on veut préserver cette beauté brute qu’est le sport, il faudra peut-être apprendre à valoriser non pas celui qui rebondit le plus loin, mais celui qui est le plus humain.