Saïd Aoubraïm, celui qui capture l’âme des montagnes

Né en 1957 sur les hauteurs de l’Anti-Atlas du Maroc, Saïd Aoubraïm a enseigné pendant plus de trente ans les Sciences de la Vie et de la Terre avant de prendre sa retraite anticipée pour se consacrer à sa passion, la photographie. Aujourd’hui grand voyageur, passionné d’anthropologie et de films documentaires, il sillonne le Maroc et le reste du monde accompagné de son appareil photo.

Dans le quartier des Amicales à Agadir, derrière une porte fraichement repeinte, on ne sait ce qui nous attend. Sur la table, un thé à la menthe fumant, boisson de l’amitié et de l’hospitalité, des pâtisseries marocaines qui embaument la pièce, des appareils photos qui trônent çà et là dans l’atelier, portraits et paysages accrochés au mur… La galerie photos de Saïd est une invitation au voyage et à la découverte. Fragments de vie, corps et visages marqués, parade de cultures, c’est une plongée au cœur d’une expérience visuelle où le temps et les croyances s’entremêlent. Pourtant, même après tant d’années à capturer ces instants de vie, une question subsiste : « Je ne sais pas si je voyage pour prendre des photos ou si c’est le voyage qui m’incite à en prendre : je n’ai jamais résolu cette question ». Pour Saïd, la photographie et le voyage sont indissociables, comme un couple dont les deux âmes interfèrent.

Photographier pour rendre hommage

Il y avait cette photo. Bien cachée au fond d’un tiroir. Une photo de son grand-père réalisée dans un studio à Paris, en costume, l’allure confiante. Il ne l’avait jamais vu ainsi. Son grand-père il le connaissait en babouches et djellaba. Ça l’avait marqué, fasciné. Comment la photographie pouvait-elle changer les apparences ? Plus que ça, elle pouvait figer l’instant pour toujours. Des années plus tard, un professeur, grand voyageur et photographe, l’embarque dans cet univers : « J’ai attrapé le virus de la photographie, j’ai beaucoup appris avec lui. Pour moi c’est comme l’écriture, la poésie, le théâtre, la musique, c’est un moyen d’expression pour véhiculer des sensations, des messages. Je me suis demandé si je ne pouvais pas la mettre au service de causes, du patrimoine, de notre identité, de ce qu’il se passe dans notre monde. » Pour Saïd, trop peu d’importance est accordée à sa culture, les Amazighs*, peuple autochtone d’Afrique du Nord. Il a voulu œuvrer pour sa préservation. Alors dans les montagnes du Haut-Atlas, il tisse avec les nomades d’Imilchi des liens d’amitié forts et partage leurs coutumes si particulières et fascinantes. Durant treize années, il visitera tous les ans ces hommes qui lui confient être la dernière descendance des nomades et de leurs traditions. Ces paroles l’ont profondément touché. Face à cette génération bientôt passée, Saïd capture ces derniers moments précieux, saisit ce qui importe dans l’éternel recommencement de la narration humaine : les rituels de ces hommes et femmes. C’est sa façon de leur rendre hommage, saluer cette civilisation nomade menacée de disparition. Son travail photographique est une quête pour préserver la mémoire culturelle marocaine.

 Aller voir l’ailleurs

« Au début, je n’avais pas d’attraction pour l’étranger, je trouvais tout chez moi au Maroc. Il y a le paysage, la culture, la civilisation, la ville. J’ai décortiqué les plages, les montagnes, les rivières et les dunes du Maroc. C’est ici que j’ai passé mes premières années de photographie. » La première fois qu’il a entendu parler du Tibet c’était à la télévision. Ces visages qui lui paraissaient familiers l’ont marqué. Ces troublantes ressemblances entre les Tibétains et les nomades d’Imilchi. Il fallait qu’il aille voir, qu’il vérifie ces similitudes, « je n’avais plus qu’une idée en tête : aller au Tibet ». Ce voyage de 45 jours, préparé pendant deux ans a marqué sa vie. Saïd a traversé le Tibet, le Népal, l’Inde et revient habité par ce qu’il a vécu. « C’est mon plus beau voyage, le plus émouvant, le plus intéressant, un voyage spirituel et initiatique. » Entre choc culturel et difficulté à communiquer, ça valait le coup. Saïd scrute l’apparence, revoit les évidences, recueille des données, décode les rites et croyances des peuples rencontrés avec l’humilité et la sincérité qui le caractérisent. Plus il cherchait les différences, plus il trouvait les similitudes. Les visages, la musique, la nourriture, les vêtements, les bijoux. C’est une révélation. Là où des milliers de kilomètres séparent deux régions, se rapprochent les visages les plus lointains. Un jour il déniche des archives de l’armée françaises datant de 1934. Un écrit reconnaissant aux nomades d’Imilchi des similarités avec les Tibétains. Le nom de « petit Tibet ou le Tibet Marocain » est donné à cette région marocaine. Saïd ne s’était pas trompé.

Un défi silencieux

Tout au long de sa vie, un défi silencieux lui colle à peau. Celui d’être un artiste dans son pays. « J’étais conscient qu’au Maroc je ne pouvais pas vivre de la photographie, de mon art. » La société marocaine pose un regard étriqué sur l’artiste. Alors, ce combat personnel l’amène à se questionner sur la possibilité d’exercer sa passion tout en ayant une vie marocaine normale : réussir ses études, avoir un travail, une maison, une voiture, se marier et avoir des enfants. Aujourd’hui, il dit y être parvenu. « Je suis le marocain normal mais j’exerce ma passion, je suis un exemple particulier. » Depuis sa première médaille d’or en 2008, il enchaîne les concours, accumule les prix et expose ses travaux à travers le monde. Fondateur du premier club photo d’Agadir, il enseigne aujourd’hui à l’institut de journalisme de la ville. Alors si ce portrait ne permet pas à Saïd de répondre à l’énigme de la photographie qui invite au voyage ou inversement, un début de réponse se dessine. La passion, la transmission et les émotions capturées par son objectif semblent le nourrir autrement, Saïd cultive ce qui le fait vibrer…

 

* Les Amazigh ou Berbères sont une ethnie autochtone d’Afrique du Nord. Le nom « Berbère » est issu du mot barbarus, par lequel les Grecs, puis les Romains désignaient tout peuple dont ils ne comprenaient pas la langue et qui ignoraient les coutumes et la civilisation gréco-romaines. Les Romains ont maintenu l’usage du mot « Berbères » pour désigner les peuples d’Afrique du Nord qu’ils n’ont jamais réussi à soumettre totalement.

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