Euthanasie, la fin de vie en débat

Vincent Lambert, Chantal Sébire, Vincent Humbert… Des noms souvent associés au préfixe « affaire » qui ont conduit au débat autour de la fin de vie et de l’euthanasie au sein de l’opinion publique. Souvent abordée par le prisme de cas particuliers et de cas médiatiques, l’euthanasie a pourtant été réfléchie dans sa généralité et sa globalité notamment pendant la journée du 8 avril 2021.

Une bataille législative

Le 8 avril 2021, un jeudi, doit se tenir un débat d’une importance considérable sur le sujet de la fin de vie. Dans le cadre d’une niche parlementaire*, le député Olivier Falorni du groupe Libertés et territoires porte la proposition de loi « donnant le droit à une fin de vie libre et choisie », qui, si elle avait été votée, aurait autorisé une aide médicalisée au décès.

Le débat public est, à l’époque, encore phagocyté par la pandémie de Covid 19 et la situation sanitaire, pourtant un constat s’impose : dans certains cas on meurt mal et il devient indispensable de voter une loi pour encadrer la fin de vie. Pourtant, ce jeudi 8 avril 2021, une partie de l’Assemblée nationale affirme sa farouche opposition à la proposition de loi d’Olivier Falorni.

Ainsi, dans le cadre des débats de la proposition de loi « donnant le droit à une fin de vie libre et choisie », cinq députés les Républicains (Julien Ravier, Xavier Breton, Patrick Hetzel, Marc Le Fur et Frédéric Reiss) ont déposé plus de 2 000 amendements (un amendement est une modification de la loi soumise au vote de l’Assemblée ; le but est de corriger compléter ou annuler tout ou une partie de la loi soumise aux délibérations du Parlement), dont certaines qui portaient uniquement sur des questions de forme.

Olivier Falorni devant les plus de 3 000 amendements déposés sur sa proposition de loi (© MaxPPP)

Cette pratique qui vise à noyer les débats et retarder ainsi le plus possible l’adoption d’une loi porte un nom, c’est l’obstruction parlementaire. Une méthode tout à fait légale et utilisée notamment par les groupes de la minorité (La France Insoumise lors du débat sur la réforme des retraites en 2020, l’UMP lors du débat sur le mariage pour tous en 2013…). Une méthode dont se plaignent régulièrement les députés qui n’hésitent pourtant pas à l’utiliser tous bords politiques confondus.

La proposition de loi étant examinée dans le cadre d’une niche parlementaire*, la masse des amendements déposés a rendu impossible une éventuelle adoption de la proposition de loi avant minuit. Seul l’article 1 a été voté par une large majorité (240 voix pour, 48 contre).

Pourtant, la proposition de loi avait brisé pour un temps certains clivages politiques traditionnels. Tant et si bien que 270 députés de tous bords l’avaient soutenue dans une tribune publiée dans le JDD le 4 avril 2021. Et malgré les réserves du gouvernement sur le sujet, certains députés de La République en Marche avaient signé la tribune.

Quid de l’avis du gouvernement justement ? On ne se mouille clairement pas. Par la voix de l’ex-ministre de la Santé Olivier Véran, le gouvernement a rendu un avis de sagesse. Autrement dit, l’exécutif s’en remet à l’avis des parlementaires. « A l’heure où notre pays est engagé dans une course contre la montre pour vacciner les Français et vaincre un virus qui a déjà fait tant de victimes, je ne suis pas convaincu qu’il faille ouvrir aujourd’hui un débat de cette envergure ». Lire entre les lignes des déclarations politiques est un exercice courant, pourtant il est parfois laborieux.

Une bataille d’idées médiatique

Le débat s’invite aussi médiatiquement. Plusieurs personnalités s’expriment en faveur ou en défaveur du droit à l’euthanasie. Parmi les « Pour », on trouve Line Renaud, Françoise Hardy ou encore Alain Delon. A l’opposé, on retrouve l’écrivain Michel Houellebecq ou l’avocat Erwan Le Morhedec. L’ancien Garde des Sceaux et grand artisan de l’abolition de la peine de mort en France Robert Badinter se montre aussi sceptique face à la légalisation de l’euthanasie.

Avancée sociale pour certains, catastrophe éthique pour d’autres… Le débat paraît très manichéen et les personnes interrogées sont très tranchées : soit on est pour, soit on est contre. Il semblerait d’ailleurs que les Français soient majoritairement pour. Selon un sondage IFOP intitulé « Le regard des Français sur la fin de vie », 93 % serait pour la légalisation de l’euthanasie. « Encore faut-il se souvenir qu’une majorité ne fait jamais une vérité et que les réponses aux sondages varient largement selon les questions posées », note Erwan Le Morhedec, avocat. « Ces sondages évoquent toujours la confrontation à des douleurs insupportables et interrogent les Français sur ce qu’il faudrait faire pour d’autres. Lorsqu’on les interroge pour eux-mêmes, les priorités sont bien différentes. Ce ne sont jamais les personnes malades en fin de vie que l’on interroge ».

Juridiquement à l’heure actuelle, ce sont les lois Claeys et Leonetti qui font foi. Ces lois prévoient notamment une sédation profonde et continue pouvant aller jusqu’à la mort, toutefois sans euthanasie active. « Ces lois permettent de rejeter l’acharnement thérapeutique, ainsi que la possibilité pour un patient de refuser un traitement ou de l’arrêter. Par ailleurs elles font obligation aux soignants de mettre en place des soins palliatifs ».

Pour Olivier Falorni, « C’est la logique du laisser mourir… Quand un médecin fait une sédation profonde et continue, il arrête l’hydratation et l’alimentation de la personne. On la laisse mourir et cela peut prendre quelques heures, mais cela peut aussi durer plusieurs jours, voire une semaine, dix jours… C’est extrêmement difficile pour le malade et pour les proches. C’est une mort à petit feu. C’est un choix que l’on peut faire, mais je veux donner aussi la possibilité de mourir, au moment où on l’a choisi, entouré de ses proches, et connaître une mort apaisée, rapide et sans douleur. Je n’oppose pas les soins palliatifs et l’aide active à mourir. Je veux juste laisser le choix à chacun ».

Le député de la première circonscription de Charente-Maritime reprend : « Mon texte pose des conditions claires : il s’adresse aux personnes majeures, atteintes d’une maladie incurable en phase avancée ou terminale, et générant des souffrances inapaisables. C’est ensuite un collège de trois médecins qui se prononcera sur le fait que la demande correspond ou non au cadre de la loi ».

Une proposition de loi qui doit, selon lui, protéger les malades ainsi que les médecins. « Elle repose sur la volonté du malade, mais elle respecte aussi la liberté du médecin qui peut refuser de prendre en charge sa demande. Il y a une clause de conscience ».

Erwan Le Morhedec, avocat, porte des positions anti-euthanasie (© Hannah Assouline)

Pour Erwan Le Morhedec justement la situation pourrait être dangereuse au regard du manque de moyens des Hôpitaux. « Comment croire qu’aucune logique comptable, jamais, ne décidera du moment de notre mort ? Comment faire confiance au médecin qui vous exposera que, dans votre situation, vous êtes éligible à l’euthanasie, pour ne pas le faire aussi en fonction des lits disponibles, quand il ne juge plus rationnel de vous garder en vie ? ». Il veut alerter, « les députés ont-ils réalisé que cette proposition de loi ouvrait l’euthanasie pour des « souffrances psychiques », même sans douleur physique, ce qui permet l’euthanasie des personnes dépressives par exemple ? Échanger avec une personne en fin de vie requière une vraie délicatesse. Alors bien sûr, certains demanderont l’euthanasie le plus librement possible, mais les plus isolés, les personnes précaires, les personnes fragiles, vivront sous influence. Ce sera peut-être une liberté pour les personnes fortes, mais ce sera une menace pour les autres ».

Soins palliatifs et situation dans le monde

Alors pour accompagner la douleur des malades, il existe un service à l’hôpital, celui des soins palliatifs. Ces soins prodigués par une équipe spécialisée visent à accompagner les patients et à préserver leur qualité de vie. « Lors de la fin d’une vie, la dignité est un aspect extrêmement important. Outre le fait d’apaiser les souffrances physiques et psychologiques, lorsqu’une personne arrive au bout, le plus important c’est de préserver sa dignité », indique Sylvie**, infirmière dans une unité bretonne de soins palliatifs. Elle refuse toutefois de se prononcer pour ou contre la légalisation de l’euthanasie. « On a parfois abordé le sujet dans le service avec les collègues mais c’est très délicat de se prononcer ».

Ce qui importe, ce sont aussi les directives anticipées. Exprimées par écrit, elles permettent d’exprimer ses souhaits « sur les traitements ou actes médicaux qui seront ou ne seront pas engagés, limités ou arrêtés ». Olivier Falorni rappelle toutefois la disparité de traitement : «  Il n’y a que 20 à 25% des Français qui peuvent accéder aux soins palliatifs, et une vingtaine de départements n’ont pas de soins palliatifs sur leur territoire… ». « Notre pays n’est pas suffisamment couvert », s’accorde Erwan Le Morhedec. Le constat est dressé, « des soignants aujourd’hui en place songent à quitter les soins palliatifs, et il y a fort à craindre que des éventuelles recrues renoncent à rejoindre les services de soins palliatifs simplement pour ne pas risquer de devoir administrer la mort à des patients ».

L’euthanasie est aujourd’hui punie par la loi dans la plupart des pays et les pratiques clandestines sont alors monnaie courante. « Elles se font dans les hôpitaux, d’une manière opaque et les malades qui en ont les moyens, ou qui ont des relations, partent en Belgique ou en Suisse pour recourir à l’aide active à mourir. On meurt mal en France » déplore Oliver Falorni.

Dans le détail, l’euthanasie et l’aide au suicide sont légales aux Pays-Bas depuis 2001. La situation est identique depuis 2009 au Luxembourg. Belgique, Suisse et certains états des Etats-Unis font aussi partie des pays qui ont dépénalisé l’euthanasie ou le suicide assisté. Ces deux notions sont d’ailleurs différentes puisque l’euthanasie est réalisée par un tiers alors que pour le suicide assisté, c’est la personne elle-même qui déclenche sa mort.

Si la médecine est aujourd’hui capable de prolonger la vie de manière artificielle, nombreux sont ceux qui refusent de se voir lentement couler. Mais d’autres considérations amènent à refuser l’euthanasie (religion, famille…).

L’euthanasie reste pour l’instant illégale en France, mais le débat sur sa dépénalisation ne devrait pas tarder à revenir dans le débat public, au gré des textes de loi et de la médiatisation de ce sujet.

* (séance mensuelle au Sénat ou à l’Assemblée Nationale pendant laquelle les députés ou les sénateurs fixent l’ordre du jour, c’est-à-dire décident des thèmes qui seront abordés pendant la séance)

** Prénom d’emprunt

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Éclairage sur la loi Falorni : La proposition de loi n°3755 visant à affirmer le libre choix de la fin de vie et à assurer un accès universel aux soins palliatifs en France a été portée par le député Olivier Falorni. Ce texte avait pour but de rendre légale la pratique de l’euthanasie. Toutefois, l’obstruction parlementaire a rendu impossible le vote dans les délais de cette loi. Seul le premier article a pu être mis au vote et adopté. Il « définit l’aide active à mourir, l’inscrit et l’encadre au sein du Code de la Santé Publique ».

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