La crise climatique face au silence médiatique

Le 4 avril 2022, à six jours du 1er tour de l’élection présidentielle, le Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’évolution du Climat (GIEC) a dévoilé son troisième rapport : une trilogie scientifique dont l’ultime volet vise à apporter un éventail de solutions pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Cette question, pourtant d’importance primordiale, est restée peu éclairée dans cette campagne, voire complètement mise sous le tapis.

Un traitement médiatique quasiment inexistant  

« Les bonnes politiques, infrastructures et technologies pour permettre des changements dans nos modes de vie et nos comportements, peuvent entraîner une réduction de 40 à 70 % des émissions de gaz à effet de serre en 2050. » C’est ce que déclare Priyardashi Shukla, co-président du groupe d’experts auteurs de ce rapport. La politique, justement, nous baignons dedans en ce moment. L’heure est censée être aux changements mais elle oscille plutôt entre regrets et révolte. Car il semble évident que la campagne présidentielle est bien loin d’être à la hauteur des enjeux que mettent en lumière ce rapport. En effet, le constat est alarmant : ces trois prochaines années seront cruciales, et si nous n’agissons pas, c’est une planète inhabitable que nous allons laisser derrière nous. Ce que nous dit ce rapport est vertigineux, pour autant, lorsque l’on se penche sur le traitement médiatique qu’il a reçu, on se rend vite compte que cette préoccupation est loin d’être une priorité pour le corps politique. La planète a encore une fois tiré la sonnette d’alarme, et c’est par un silence assourdissant que les médias ont répondu.

De quoi cela relève-t-il ? Peut être d’une sorte de déni afin d’éviter de se confronter à ce constat anxiogène. En effet, les deux premiers volets du sixième rapport du GIEC, publiés en août 2021 puis en février 2022, faisaient déjà grimper l’angoisse chez beaucoup d’entre nous. Dans la première publication, les scientifiques s’évertuaient à démontrer la responsabilité des activités humaines dans l’accélération du changement climatique, puis dans la seconde, ils prouvaient les conséquences et effets de ces bouleversements. Par ailleurs, la loi du « mort kilomètre » peut également être une raison du manque de médiatisation de ce sujet : en effet lorsque les choses ne le touchent pas directement et personnellement, l’humain a parfois du mal à saisir la puissance du danger. Néanmoins, ce troisième volet, qui apporte quant à lui des solutions, implique qu’enfin l’on se rende compte et que l’on agisse vite : et cela revient à modifier drastiquement nos habitudes. Car faire changer les choses, au point où nous en sommes, n’est pas simple.

Des solutions concrètes, mais une responsabilité de l’Humanité toujours inégalement partagée  

D’après les études d’Oxfam et de Greenpeace, 63 milliardaires français polluent davantage que 50% de la population. Un chiffre choc qui constitue en réalité le cœur du problème. Face à ces actualités moroses, à échelle individuelle et en tant que citoyen, comment continuer à avoir foi en nos petits gestes du quotidien lorsque l’on se rend compte que Gérard Mulliez, fondateur du groupe Auchan, a une empreinte carbone trois millions de fois plus élevée que celle d’un foyer français moyen ? Entre désillusion et impuissance, comment continuer d’espérer ? C’est bel et bien ce que nous dit ce troisième rapport du GIEC : davantage que d’espérer, il faut agir. C’est toute une sociologie de la consommation que nous devons transformer pour arriver à cette transition collective, qui passera notamment par la remise en question de certains bastions de la surconsommation. Des non-sens sociétaux tels la course aux moyens de communications high tech, la malbouffe ou encore la fast-fashion ! ( Pour ne citer que quelques exemples… )

Du côté des gestes du quotidien, il est aujourd’hui plus facile d’être éclairé quant aux moyens d’action : trier ses déchets, faire attention à sa consommation d’électricité, supprimer tout ce qui est superflu, comme les emballages ou les produits à usages uniques, donner plutôt que jeter, et miser sur la seconde main au lieu d’acheter du neuf. Mais percevoir l’écologie comme une simple affaire citoyenne, c’est faire peser sur ces « adultes éclairés » des injonctions et une responsabilité qu’ils ne peuvent porter seuls : selon François Delorme, consultant et professeur d’économie, ce sont aux gouvernements d’envoyer « les bons signaux pour inciter les consommateurs et les entreprises à s’engager plus fortement vers la transition écologique. » Cependant, se renvoyer autant la balle entre citoyens, entreprises, puissants et gouvernements, c’est prendre le risque d’aboutir à une forme de schizophrénie sociétale : on ne sait plus qui doit agir, ni comment, pour opérer de réels changements écologiques dans cette société capitaliste que les gouvernements ont scié depuis tant d’années. Pour perpétuer leur profit, les grandes entreprises ne se soucient pas des déséquilibres écologiques engendrés, notamment par l’immense gaspillage produit. Ainsi, pour aider la population, le GIEC apporte des solutions concrètes aux entreprises. Par exemple, développer les énergies vertes : l’éolien et le solaire, ressources inépuisables et peu coûteuses. Anne-Catherine de Tourtier, présidente de France Énergie Éolienne a déclaré : « L’éolien participe activement à la préservation du pouvoir d’achat, à la maîtrise du prix de l’énergie, à notre indépendance énergétique, c’est un levier essentiel dont la France ne peut permettre de se passer ». Ils préconisent également, dans les entreprises, de créer des bacs recyclables pour papier, des espaces à vélos ou bien de baisser le chauffage en été, afin de leur faire prendre conscience de l’importance de la réduction de leurs émissions. Le GIEC affirme également qu’il est nécessaire de capter les gaz à effet de serre et ainsi arrêter les énergies fossiles : plusieurs voies sont possibles, comme celle des moyens technologiques par exemple, ou encore la voie naturelle : végétaliser et restituer les forêts primaires pourraient permettre de moins émettre de gaz à effet de serre. Il faudrait également réduire les émissions de méthane, qui proviennent surtout des infrastructures pétrolières et leurs fuites, mais également des déchets liés à l’agriculture mais aussi du bétail : continuer à manger de la viande, c’est contribuer à ces émissions. Toutes ces préconisations visent à maintenir la hausse de la température mondiale en dessous d’un seuil acceptable : il nous reste trois ans, à l’issue desquels nous atteindrons le point de non retour. Une notion primordiale de ce rapport semble être que l’inaction est plus coûteuse que l’action : en effet, tout faire pour réussir à atténuer les émissions de gaz à effet de serre aurait des conséquences colossales, et un coût minime comparé au prix que l’on devra payer si l’on ne fait rien. Ce prix, c’est bel et bien la température sur Terre qui augmentera de 4° d’ici à la fin du siècle, entraînant de nombreux impacts comme l’élévation du niveau des océans, des évènements météorologiques extrêmes, la fonte des glaciers, de la banquise ou bien l’extinction de nombreuses espèces.

La question climatique n’aura, malgré tout, pas réussi à s’affirmer au cœur de la campagne présidentielle : seulement 2,6 % du temps de parole lui aura été réservé. Et pour cause, d’autres sujets, importants également, préoccupent les Français : le pouvoir d’achat, la guerre en Ukraine, l’ombre du Covid… Tout cela a rendu cette campagne atypique, lisse et sans grands débats démocratiques. À l’heure où il semble toujours aussi compliqué de faire rimer politique environnementale et société capitaliste, il paraît tout de même évident que l’urgence climatique ne peut plus attendre, le GIEC rappelle que cette réduction de moitié des émissions de gaz à effet de serre est possible d’ici 2030, mais qu’il n’y a plus de temps à perdre. Cette urgence restera-t-elle encore une fois dissimulée lors de ce deuxième tour, et pour les cinq ans à venir ?

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