Mal-être enseignant, entre réformes et interrogations sur l’institution

Réforme du bac, manque de reconnaissance, Parcoursup critiqué, le malaise au sein de l’Éducation Nationale est parfois évoqué mais peu médiatisé. Et pourtant… Les professeurs sont nombreux à jeter l’éponge. Rencontre avec une enseignante d’histoire-géographie qui exerce depuis une vingtaine d’années mais qui a décidé de démissionner malgré son amour du métier.

Pour commencer, parlons de l’actualité qui vous concerne… Un article du Monde rapporte qu’il y a eu en 2020-2021, plus de 1648 démissions chez les enseignants. Qu’en pensez-vous ?

Avant tout je vais me présenter, je suis professeure d’Histoire Géographie depuis 25 ans, mon public scolaire est très agréable et vais néanmoins démissionner – j’ai d’ailleurs d’ores et déjà engagé des démarches qui vont dans ce sens. Je ne suis pas la seule et un malaise enseignant existe qui n’est lié aux élèves – même s’il peut y avoir des établissements au sein desquels les conditions de travail et le public scolaire sont extrêmement difficiles – mais davantage au fonctionnement de l’institution.

Pouvez-vous nous expliquer ce que vous entendez par là ?

Le problème est structurel et non pas relationnel. En ce qui me concerne, c’est l’évolution de l’administration qui me conduit à faire ce choix avec en ligne de mire la réforme du bac. Il y a eu une grande brutalité dans sa mise en œuvre notamment pour les élèves de première qui ont dû assumer une réforme en cours de cycle de formation alors qu’elle n’avait qui n’a pas été pensée en amont. Elle demande aujourd’hui aux élèves de disposer d’un projet d’orientation très lisible dès la fin de Seconde dans un monde qui n’a jamais été aussi instable. Est-ce concevable ?

Vous avez évoqué la possibilité de quitter l’Éducation Nationale, pouvez-vous nous dire pour quelles raisons ?

On ressent un mal-être enseignant qui est le fruit d’une grande brutalité institutionnelle à l’égard des personnels mais aussi envers les élèves. L’anomalie est liée à une succession de réformes qui concernent en grande partie le service public, que ce soit pour nous, l’hôpital ou la justice. Nous avons le sentiment que tout a vocation à être privatisé.

Cette brutalité, on la ressent particulièrement depuis trois ans avec un discours institutionnel un peu méprisant. On nous assène de plus en plus d’injonctions intenables qui ne tiennent pas compte du terrain sans écouter les griefs qui ont pu remonter du terrain. J’ai affaire à une administration de plus en plus kafkaïenne, on nous demande d’accomplir des tâches impossibles faute de moyens. Et c’est ce qui est pour moi, une des définitions de la souffrance au travail.

Chaque politicien a voulu imposer ses idées

Les réformes se succèdent en permanence et c’est le collège qui avait, jusqu’à présent, été le plus touché. Aujourd’hui, c’est au tour du lycée. En ce qui nous concerne, deux années ont été réformées en même temps. Face à cela, nous avons fait remonter les dysfonctionnements que l’on avait constatés et, dès cet instant, des enseignants ont été sanctionnés. Des lycéens ont également fait grève mais le mouvement n’a pas été suivi. Nous nous sentons un peu délaissés. Avec cette nouvelle réforme, nous ne pouvons plus faire le même suivi qu’auparavant, elle a cassé le groupe classe puisqu’ils ne se retrouvent que pour les matières de troncs communs. Nous avons vraiment l’impression que cette réforme a été balancée sans qu’il y ait eu de réflexion profonde.

Y aurait-il un décalage entre ce que vous pouvez faire et ce que les politiques proposent ?

Oui, en quelque sorte. On peut s’interroger sur la mise en place d’actions sans que les moyens n’aient suivi, nous pouvons également relever des contraintes quotidiennes comme le manque de salles disponibles ou l’impossibilité de réaliser tout le programme scolaire. Le temps nécessaire pour développer l’esprit critique, je ne l’ai plus ou alors moins qu’il y a dix ans.

La pression a-t-elle des répercussions sur votre vie personnelle ?

En tant qu’enseignant, ce n’est pas anodin de constater de moins bons résultats pour le baccalauréat ou la souffrance de certains étudiants. De plus, nous avons désormais beaucoup plus de tâches administratives, en moyenne, je passe une heure et demie par jour à remplir les différents documents numériques. C’est beaucoup.

Pourquoi avoir choisi de faire ce métier ?

C’est en premier lieu un choix de transmission. Si j’ai choisi ce métier, c’est parce que j’aime les disciplines que j’enseigne. C’est un réel plaisir de lire, de m’informer, de me renseigner sur le monde, de comprendre l’histoire et la géopolitique. J’ai envie de partager ce bonheur en considérant que ce sont des disciplines qui permettent d’élaborer un esprit critique sur le monde qui nous entoure afin d’être plus armé en tant que citoyen pour l’affronter. J’aime beaucoup transmettre cette curiosité intellectuelle et donner envie aux jeunes d’acquérir un certain nombre de connaissances fondamentales. Je veux qu’ils acquièrent une habitude de questionnements sur le monde contemporain. Derrière cela, il y a une éducation du citoyen.

Quel pourrait être le frein à se lancer aujourd’hui ?

En premier lieu, nous pouvons nous pencher sur la faiblesse des salaires. On peut s’attarder également sur le niveau de qualification requis. De nos jours et depuis la présidence de Nicolas Sarkozy, il faut être diplômé d’un Master 2 alors que ce n’était pas le cas auparavant. En plus de cela, on trouve une certaine déception liée à la découverte du terrain, très souvent, les jeunes enseignants se trouvent dans des académies déficitaires et à des postes difficiles, les publics sont rudes. On n’exige plus de la profession des compétences disciplinaires mais des compétences pour gérer un public particulier alors que paradoxalement, le bagage théorique est très élevé et exigeant.

Qu’est-ce qui ne va pas actuellement ?

En réalité, le système éducatif ne fait que reproduire les inégalités sociales et n’a plus vocation à les combler. Les élèves choisissant les modules de spécialisation ont des connaissances approfondies alors que les autres ne disposent que des connaissances réduites. Avec tout cela, on ressent une déconnexion complète entre le pilotage de l’institution et la réalité de nos pratiques. Les réformes sont plaquées au mur et nous devons nous y conformer qu’on le veuille ou non. Cette brutalité ne se ressent pas uniquement chez les enseignants mais aussi chez les élèves. Beaucoup d’entre eux sont en souffrance réelle. Ils sont de plus en plus anxieux et le COVID n’a fait qu’amplifier les choses.

Également Parcoursup est extrêmement sélectif, les élèves en ont conscience. Toutes les notes comptent et cela génère un stress permanent. Cette pression du contrôle continu peut avoir un bon côté en imposant aux élèves un travail régulier depuis le début de la première jusqu’à la fin du secondaire mais cela induit une inflation des notes. Les enseignants sont dans une espèce de course où l’on ne veut pas pénaliser nos élèves et de fait, on peut mettre des notes de plus en plus hautes.

Pour ne pas pénaliser les élèves, c’est cela ?

Avec les confrères et consœurs, on essaie de compenser un stress énorme que les élèves ressentent au quotidien. On se retrouve alors dans une fuite en avant des notations tout en supportant une suspicion plus importante sur nos notes et la pression des familles est plus forte. En effet, une mauvaise note peut apparaître sur Parcoursup et le supérieur devient très sélectif et cela nous conduit à devoir justifier nos notes devant des parents de plus en plus agressifs.

Les attendus sont-ils différents ?

En ce qui concerne les attendus des parents et des élèves, oui. Mais c’est aussi le cas de l’institution. L’année dernière, quelques-uns de mes collègues ont eu des échanges avec leur inspecteur pédagogique qui leur indiquait que s’ils n’avaient pas 12 de moyenne dans leur classe en lycée, c’est qu’ils étaient mauvais pédagogues. Nous n’avons plus que la note comme objectif ultime. On oublie les acquis profonds et c’est regrettable. Nous, ce que l’on souhaite c’est former des citoyens et des étudiants armés pour le supérieur.

Enfin, le COVID a-t-il changé quelque-chose pour vous ?

Son arrivée a été brutale. Nous nous sommes retrouvés en téléenseignement sans y être préparés. Nous avons eu quelques jours de tâtonnement car les plateformes numériques n’ont pas été calibrées pour ça. Il a fallu s’adapter. C’était beaucoup de temps de dialogue, de récupération pour ne pas perdre les élèves et les faire travailler. A notre retour en classe, nous étions tous très heureux de nous retrouver. Cette expérience a fait mûrir les élèves dans une large mesure. Ils ont davantage pris conscience de la valeur ajoutée des cours en présentiel et notre relation a par conséquent été valorisée car l’apprentissage part en premier lieu de l’interaction avec les élèves.

Les visioconférences sont-elles envisageables à l’avenir ?

Non pas du tout. Cela peut ponctuellement être utilisé mais la qualité est moindre. L’interaction est moins importante. Ce n’est pas une solution d’avenir mais si cela peut intervenir dans le cadre de la formation continue ou ponctuellement en tant que complément. On perd ce qui fait la richesse du lien, beaucoup d’éléments passent aussi dans le non-verbal.

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