De chair et d’os

Gaspard Verdure parle, crie. Dans les villes, sur la scène, il entend rendre à la rue ses lettres de noblesse.

Il est là, place des Halles, le samedi matin, sur le marché de Saint-Brieuc. Qu’importe le temps, qu’importe les gens, il est là. Il parle, il chante, il rit et on l’écoute. Gaspard Verdure est crieur de rue. Dans la ville qu’il aime, il informe et rassemble les briochins, improvise et joue de l’inattendu, pour créer de l’émotion. « Dans la rue on ne maîtrise rien, on utilise ce qu’il se passe, il faut tout prendre comme un cadeau, le garçon de café qui chute, le marchand de poisson qui crie… On l’ajoute au récit que l’on veut construire ».

Dédramatiser la rue

Les mots écrits par les passants dans des bars sont sa matière première et les boites à messages qu’il a posées aux quatre coins de la ville alimentent son contenu. D’abord il les lit, les rédige, et les interprète d’une manière unique à chaque fois. « Le crieur de rue adoucit les dires, il ajoute de la poésie. Du coup, on rit, même si je n’annonce pas que des choses drôles. » Il souhaite apporter de la légèreté et faire d’un évènement dramatique une musique douce à l’oreille. « Pour les attentats de Charlie Hebdo, il n’était pas question de prendre encore la parole pour commenter ce qui venait de se passer. Alors, on s’est posé là et on a lu des poèmes écrits antérieurement à ce drame. Ça donnait un peu de recul. » Le briochin est fier d’animer les quartiers, pourtant il s’attriste du sort de sa ville, de plus en plus vide. Il rêve et œuvre pour qu’elle vive, pour que les gens affluent. L’imprévu qui plane sur la rue place les passants à découvert, il met à jour leur fragilité, leur beauté. C’est pour cet imprévu que Gaspard aime tant crier dans la rue « On peut tomber amoureux, on peut se battre. On peut voir tout et son contraire. Annoncer la mort d’un pote qui s’est fait poignarder, lui rendre hommage avec une minute de bruit et l’instant d’après annoncer une naissance ».

Une enfance musicale

Le grain de sa voix, usé par son métier, transporte ceux qui l’écoutent. Gaspard était destiné à devenir artiste. Il grandit à Strasbourg dans un café-concert dont son père est le programmateur « j’étais bambin, j’allais dans le bar et je voyais des concerts. J’ai baigné là-dedans. Il y a des photos de moi petit dans les bras des jazzmans. » Il commence donc par la musique dans le monde de l’art, et dès la primaire, ses parents l’inscrivent dans un cursus musical où il apprend le violon alto. Il découvre ensuite l’écriture et le chant au lycée « jsuis arrivé en Bretagne en 1998, on avait un groupe avec des copains. J’étais vraiment dans la musique au début, mais je me suis vite intéressé à d’autres formes artistiques. » C’est une rencontre à Rennes qui va tout changer. Alors qu’il s’intéresse à d’autres moyens d’expression, Gaspard va découvrir le métier de crieur et c’est plus tard en rentrant à Saint-Brieuc, qu’il va se former et façonner son personnage en s’inspirant de l’univers clownesque.

Vivre pour faire vivre

Dans son costume bariolé, debout sur son overboard, il déclame dans son hautparleur. Coiffé de son casque boule à facette, il étincelle. Mais cet accoutrement est bien plus qu’un simple déguisement : c’est un symbole « pour moi, la boule à facette c’est la fête et la fête c’est un contre-pouvoir. Tant qu’il y a la fête, les gens se réunissent, ils échangent des idées, des points de vue et ils créent, ils inventent, ils imaginent et ils critiquent le pouvoir.  »  Et pour ce musicien, le pouvoir a eu trop d’importance durant les dernières crises sanitaires. Restreintes, bridées, et presque interdites, la culture et la fête semblent sacrifiées, selon lui, « sous couvert de pandémie. » Voir les spectacles de rue interdits alors qu’on laisse les supermarchés ouverts, pour Gaspard c’est la fin de la liberté « S’il n’y a plus de culture, plus de fête, il n’y a plus de raison de vivre ». Alors il se mobilise « avec des copains, des vélos et des chansons, on va d’habitation en habitation pour délivrer des messages. Pour continuer à rassembler les gens, on utilise notre voix, notre corps et, si il le faut, les réseaux sociaux . » De chair et d’os.

Crédits photo : Télégramme

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