L’Etat impose ! La langue bretonne explose ?

Chargé du développement de l’enseignement bilingue public, Ronan Postic travaille depuis plus d’une dizaine d’années à l’OLPB (l’Office Public de la Langue Bretonne). Né au sein d’une famille parlant le breton, il est aujourd’hui inquiet de l’évolution de la langue bretonne. Il nous parle de son engagement et des enjeux en place afin  de sauvegarder la culture bretonne.

Comment jugez-vous l’évolution de la langue bretonne ?

Depuis les années 80, il n’existe plus personne qui parle uniquement le breton et les locuteurs premiers, ceux qui ont appris le breton à la naissance, vont disparaitre dans une quinzaine d’année. Malgré tout, il reste de l’espoir puisque nous sommes actuellement dans un processus qui permet aux enfants de l’apprendre dès le plus jeune â des enfants qui l’apprennent.
Néanmoins, les chiffres sont inquiétants pour la culture régionale puisque l’on sait que ce lien social et historique passe par la langue. C’est pourquoi, il y a une certaine pression sur nos épaules mais aussi de la motivation ! Cela nous condamne à poursuivre notre effort pour le développement de l’enseignement bilingue, mais aussi pour favoriser la connaissance du breton pour toute personne vivant en Bretagne. Les choses avancent, il faut avoir un regard positif sur la situation, de toute manière nous n’avons pas vraiment le choix…

Le latin est utile pour l’apprentissage du français, mais encore l’anglais, l’espagnol et les autres langues étrangères permettent de communiquer avec des étrangers, alors finalement à quoi sert la langue bretonne aujourd’hui ?

D’un point de vue historique, c’est une langue pratiquée pendant plus de 1500 ans en Bretagne. Elle est plus vieille que la langue française ! C’est une langue à part entière et ce n’est pas du patois ! Le breton a forgé le territoire et c’est quelque chose qui le façonne encore, comme en témoigne tous les toponymes que vous voyez en breton, panneaux de route traduits. Le fait qu’un jeune parle breton en Bretagne peut lui servir et cela peut même être lui être plus utile que des langues comme l’anglais ou l’espagnol. En effet, il peut trouver du travail facilement, il y a beaucoup d’offres sur le marché notamment dans l’enseignement, et l’animation. Ce n’est pas simplement parler breton pour parler breton.

Par ailleurs, son apprentissage a-t-il une utilité dans l’éducation ? C’est intéressant de se demander si l’art plastique ou la technologie en ont une ? On sait que l’apprentissage d’une langue a des bénéfices pour la cognition de l’enfant et que plus cette gestion se fait tôt, plus le cerveau va se former à parler des langues nouvelles. Plus spécifiquement, le breton est une langue celtique et le fait de mettre l’élève en contact avec un système syntaxique complètement différent lui permet d’aborder une langue différente du système saxon ou roman.

Parlez-nous de vous, en quoi consiste votre travail ?

Je travaille à l’OPLB qui est un Établissement Public de Coopération Culturelle (EPCC) depuis onze ans. Au sein de notre conseil d’administration nous retrouvons l’État, le rectorat (Education Nationale), les cinq départements historiques bretons à savoir la région Bretagne et la région Pays de Loire, également des associations des parents d’élèves des filières bilingues. La langue de travail utilisée à l’office est le breton, mais en fonction des interlocuteurs je peux aussi être amené à parler français.
La mission de l’office est de mettre en place les politiques linguistiques fixées par le conseil d’administration. Pour résumer, L’OPLB travaille sur deux pôles : tout d’abord, le développement de l’enseignement bilingue, de la transmission de la langue en général, ensuite, la présence du breton dans la vie publique (ex : promouvoir le breton dans la signalétique routière).
Personnellement, je suis chargé de plusieurs fonctions notamment celle du développement de l’enseignement bilingue public. Je vais être amené à interagir avec les différents partenaires institutionnels (les maires, les collectivités territoriales, les présidents d’agglomération, etc.). Je dois aller au contact des gens, convaincre, et enfin être autonome sur le terrain pour prendre des décisions rapidement.

Que pensez-vous des propos du ministre de l’Éducation Jean Michel Blanquer ?
« Par définition l’immersif c’est de l’unilinguisme, la notion de maternelle immersive implique le fait que les enfants ne parlent que la langue régionale » « du point de vue pédagogique il y aurait beaucoup à discuter autour de cela, on pourrait arriver à dire que cognitivement ce n’est pas si bon que cela. Surtout si l’enfant est mis dans la situation d’ignorer la langue française. »

Cela reste une erreur parce que le peu d’études faites par l’État montrent que globalement les étudiants scolarisés à Diwan ont de meilleurs résultats scolaires que les autres : de meilleurs résultats au bac en français par rapport aux autres lycées monolingues ! Cela va complètement à l’inverse de ce que dit le ministre de l’Éducation. La pratique de la langue bretonne par immersion rend les gens meilleurs dans la langue nationale. C’est fou de dire cela et c’est une preuve que l’on est sur des positions idéologiques, je pense d’ailleurs que c’est aux bretons de dénoncer ces mensonges. On pêche aussi par un manque de communication et je ne suis pas certain que l’on lise beaucoup d’articles de presse sur les performances des écoles Diwan. On devrait plutôt être fiers, nous Bretons, de cet instrument scolaire construit tout seul et qui fonctionne. De plus, ce n’est pas forcément un système élitiste (souvent un reproche) puisqu’on y retrouve toutes les catégories sociales, les proportions étant les mêmes que dans des lycées publics. Il n’y a donc pas de débat là-dessus non plus.

Le ministre de l’Éducation se permet de tenir ces propos car il est en position de force et on en revient encore à la centralisation. Est-ce que des personnes des autres régions qui ne connaissent pas ce système immersif et qui n’ont pas effectué un travail de recherches connaissent ce sujet ? Il y a encore une image négative de la langue bretonne or elle n’est pas désuète, elle n’a juste pas plu à l’État centralisé français. Le breton peut tout dire, il y a des mots pour chaque concept ! Il faut donc leur expliquer que cette langue est une richesse.

Quel est rôle de l’État ? Son aide vous parait-elle suffisante ?

Il fait partie des partenaires et a participé à la fondation de l’office. Les choses vont de l’avant, si je prends l’exemple de l’enseignement public bilingue, il est clair que l’État joue son rôle aujourd’hui, ce qui n’était pas forcément le cas il y a quelques années. Les feux sont désormais au vert, cela se vérifie par l’élaboration d’une convention spécifique État Région signée en 2015 et en cours de renégociation. Grâce à cela, nous avons pu améliorer nos collaborations avec les services de l’Éducation Nationale. La convention a débouché sur un protocole de travail pour l’ouverture de filières bilingues dans l’enseignement public, ce qui n’existait pas avant. Je n’irai pas jusqu’à dire que je suis parfaitement satisfait de son implication puisque cela reste un long processus qui se passe à la fois au local mais aussi à l’échelle nationale comme le montre l’exemple de la loi Molac ndlr mais il faut continuer à convaincre, discuter, argumenter pour que les choses avancent et s’améliorent.

L’Etat n’est pas vraiment clair sur ses intentions de conservation du territoire patrimoniale.  En effet, on s’y perd un peu avec le gouvernement dont certains ministres affirment explicitement leur opposition à l’enseignement immersif alors que d’autres comme le président de la République se déclarent pour. Selon vous, l’État favorise ou non cette protection de la culture régionale ?

Si je dois évoquer mon sentiment personnel, je pense qu’historiquement l’État a tout fait pour détruire la langue bretonne, et toutes les autres langues régionales. Entre le symbole en Bretagne (humilier les enfants qui parlaient breton à l’école à l’époque) jusqu’à mettre des bâtons dans les roues pour l’enseignement bilingue. Il a été très difficile d’ouvrir des filière bilingues avant les années 2010. Les écoles Diwan en sont la preuve, on ne peut pas dire que l’État nous ait vraiment aidés. Ce sont des écoles privées qui se sont développées par leurs propres moyens.
Nous sommes dans un monde de réflexions et de combats politiques forts. L’enjeu, pour nous, est de défendre auprès du peuple breton une image la plus positive possible de leur langue.

L’État ne condamne-t-il pas les langues régionales en mettant la seule langue française comme langue officielle et obligatoire ? (Cf. article 2 « La langue de la République est le français »)

C’est sûr que cet article de la constitution nous a empêchés et nous empêche d’avoir un développement serein que ce soit en Bretagne ou dans d’autres régions. Il faudrait pouvoir le changer puisqu’il bloque de nombreuses choses, et pour peu de raisons. Quels sont les risques de l’apprentissage de la langue bretonne ? Qu’elle devienne la langue nationale en Bretagne ? C’est impossible et en plus ce n’est pas du tout le but. Il est clair qu’il n’y a aucun risque pour l’État, il faudrait plutôt venir à son secours. Cependant, la réalité c’est que le Breton est totalement menacé, c’est d’ailleurs la même chose pour le Basque, le Corse etc. L’UNESCO la classe d’ailleurs comme une langue extrêmement en danger de disparition. Alors ce serait bien si les élus pouvaient désormais changer cet article qui a été rédigé à l’origine pour contrer la langue anglaise mais qui au final fait du mal aux langues régionales. Et c’est d’ailleurs ce pourquoi se bat le député du Morbihan Paul Molac qui est parvenu partiellement à faire des choses intéressantes avec la promulgation de la loi Molac.

Par rapport à la loi Molac dont le rapport a été publié le 21 juillet dernier, on ressent un sentiment d’amertume qui plane autour de celle-ci pour les régionaux puisque l’enseignement immersif n’a pas été reconnu comme enseignement bilingue.
Est-ce que cela vous fait peur et il y a-t-il eu des conséquences directes sur des écoles régionales comme Diwan ?

Effectivement, c’est contradictoire parce que la loi Molac avait pour but d’aider au développement des langues régionales et c’est vrai que la fin de l’histoire est un peu amère… En effet, le conseil constitutionnel en lisant le texte a estimé que l’enseignement immersif qui existe en Bretagne depuis la fin des années 70 n’était plus constitutionnel. Le fait d’être anticonstitutionnel enlève une certaine sérénité dans l’enseignement bilingue. Pour autant, je ne pense pas que cela va empêcher le fonctionnement des écoles Diwan puisque dernièrement il n’y a eu aucune demande du premier ministre de rédiger un décret pour bloquer ce système. On reste quand même dans un flou juridique qui n’aide pas forcément les écoles comme Diwan qui vivent déjà des choses assez difficiles puisqu’elles ne sont pas dans l’enseignement public et n’ont donc pas d’aides financières.

Ne trouvez-vous pas que cette loi est passée de façon un peu anecdotique ? Dans le sens ou on en a très peu entendu parler même en étant Breton.

Je ne suis pas certain que les médias parisiens, qui sont massifs dans la télévision s’intéressent à ce sujet. Cela montre la centralisation de l’État français à Paris qui laisse très peu de place aux régions, aux cultures territoriales. Cela pose des problèmes car ce sont des lois qui sont importantes mais qui ont très peu d’échos dans la presse. Même si la loi a quand même fait du bruit dans les journaux régionaux, tout ça reste à l’échelle locale et c’est dommage.

 

* Loi Molac : Loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion notamment dans 3 domaines : le patrimoine, l’enseignement et le service public. Celle-ci a été proposée et acceptée par le parlement le 8 avril. Quelques semaines après, une soixantaine de députés de la majorité ont saisi le conseil constitutionnel a cause de l’article 4 sur l’enseignement immersif. Le 21 mai, le Conseil constitutionnel rend sa décision, l’enseignement immersif prévu par la loi est contraire à l’article 2 de la Constitution (qui dit que la langue de la République est le français).
Pour plus d’informations : https://www.vie-publique.fr/loi/278001-loi-sur-les-langues-regionales-loi-molac

 

 

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