INDUSTRIE MUSICALE : LE PRIX DE L’INDÉPENDANCE

Les labels de musique et le rap français ont une histoire basée sur l’amour et la haine. En effet bien que certains artistes aient été propulsés sur le devant de la scène par les majors, d’autres musiciens font de moins au moins confiance aux gros poissons de l’industrie musicale et clament leur indépendance. Depuis quelques années, le rapport de force se voit bouleversé par un facteur : Internet.

Le secteur musical est très complexe, un grand nombre d’acteurs, différents contrats… Cependant depuis l’apparition du rap en France dans les années 90, les grandes maisons de disques, appelées majors, ont toujours réussi à séduire les artistes, notamment les jeunes, ces derniers, souvent sans gros revenus, après de longues années de travail acharné acceptent les contrats posés sur la table. Pourtant, ils sont de plus en plus nombreux à remettre ce fonctionnement en question et à se permettre de refuser les offres alléchantes des maisons de disques afin de cultiver une indépendance leur permettant de rester libres artistiquement.

L’art mis de côté

« Il y a chez les  jeunes artistes une volonté d’être seul et de dépendre uniquement de son art » souligne Tom, directeur artistique au sein d’un label marseillais. Les artistes souhaitent désormais, pour la plupart d’entre eux, tenter leur chance dans la musique sans passer par la case contraignante des maisons de disques. En effet, les labels apportent une réelle exposition médiatique à « leurs » rappeurs, mais certains ne sont pas intéressés par cet aspect, c’est le cas de Kovacs, artiste de la région parisienne : « En ce qui me concerne, c’est avant tout parce que je suis très solitaire et que je n’ai pas spécialement envie de m’intégrer dans ce milieu mais également parce que l’exposition médiatique m’intéresse très peu ». Certaines sommes proposées par les labels sont astronomiques plaçant l’argent au centre des préoccupations, ils ont alors tendance à oublier que le rap est d’abord un art. C’est cet argument qui est mis en avant par les détracteurs de ces grandes entreprises, le rap n’est pas dirigé par les gens du milieu, en effet, les majors sont dirigés par des hommes d’affaires comme c’est le cas de Vincent Bolloré chez Universal Music France et il est évident qu’il n’est pas toujours au courant des évènements de cette scène rap. « Les labels ont fait trop de mal à la musique en la réduisant à un pur business » ajoute le jeune artiste de 18 ans.

Une volonté de se détacher

Il est essentiel de préciser les caractéristiques des maisons de disques et celles des labels, les premières assurant la conception et la production des œuvres de leurs artistes, le label s’occupant de la communication et du marketing autour de l’artiste. Un label doit rendre son artiste vrai, authentique, rendre son image fidèle à la musique qu’il propose. (Le label est tout de même souvent utilisé comme substitut à la maison de disque). Le principal problème se trouve dans les contrats proposés aux jeunes artistes, et certains s’en rendent compte, comme ce rappeur de 18 ans : « Ils ne pensent qu’à s’enrichir donc forcément le contrat te sera défavorable et puis ne parlons pas de tous les contrats 360 qui ont été faits ». Les contrats 360, soit l’équivalent d’un prêt à la banque, proposent à l’artiste d’être accompagné par toute une équipe « Le label met à disposition des compositeurs, des directeurs artistiques, un chef de projet » explique Valentin L, chef de projet au sein d’une des majors française, mais la carrière de l’artiste sera entièrement contrôlée par le label, de plus il sera dans l’obligation de rembourser « l’avance » prêtée. Mais comme il existe une réelle démocratisation du rap en France depuis maintenant une dizaine d’années, cette recrudescence d’artistes est certes logique puisque faire du rap est devenu « à la mode », cependant, les labels ne peuvent pas se permettre de signer tous les artistes, c’est pour cette raison qu’ils sont de plus en plus nombreux à entamer une carrière sans jamais vouloir soumettre leur art aux maisons de disques.

Internet : la clé de l’indépendance

Et il est vrai que le développement d’Internet et l’avènement du streaming ont bouleversé le secteur musical ainsi que les manières de produire et de diffuser sa musique : « Les artistes sont désormais libres de poster ce qu’ils veulent, quand ils veulent ». Des plateformes telles que SoundCloud ou Youtube ont permis l’éclosion de jeunes talents qui s’enregistraient dans leur chambre sans une quelconque aide des labels. « Maintenant on peut balancer nos morceaux gratuitement ou à un faible coût sur les plateformes, le physique n’est plus dominant donc forcément ça ouvre des portes ».  Très vite, c’est un grand pas qui semble être franchi. Les revenus reviennent en plus grande partie aux rappeurs et à leurs équipes, alors que par le passé, les bénéfices étaient destinés aux actionnaires. « Les artistes commencent à comprendre qu’ils peuvent se débrouiller sans label » souligne Lyre, rappeur de 16 ans originaire d’Orléans. De plus, cela  laisse champ libre pour construire leurs albums exactement comme ils le souhaitent. A cet effet, un label a parfaitement réussi à allier indépendance et montée en puissance des plateformes de streaming : Believe, qui propose aux artistes des contrats de distribution, s’occupant de diffuser les projets des artistes tandis que ces derniers gardent une totale maîtrise au niveau artistique.

L’indépendance, un succès assuré ?

Cette nouvelle volonté de la part des jeunes artistes de laisser parler leur art, leur musique, et non l’argent des labels pour débuter leur carrière semble prendre une ampleur plus qu’importante. Cependant, selon un recueil de témoignages auprès d’artistes indépendants, certains sont tout de même prêts à signer pour un label : « Je suis heureux de pouvoir être proche de ma communauté, mais si l’occasion se présente à moi un jour, je n’hésiterai pas pour signer le contrat ». Le motif ? L’argent. Il est difficile de refuser de telles sommes ainsi que les moyens techniques mis à disposition. La quasi-totalité des artistes souhaitent faire parler leur musique, mais cela rémunère peu, les plateformes de streaming permettent d’accumuler quelques maigres revenus. Certains exemples permettent aux jeunes indépendants de garder l’espoir. Comme le cas de PNL, groupe aux albums respectivement certifiés trois fois platine et diamant pour les deux derniers. Sans aucune interview ou passage radio, les rappeurs sont devenus les 7èmes plus gros vendeurs d’albums en l’espace de cinq ans. En totale indépendance. Les jeunes artistes sont forcément motivés par ce genre de success-story. Cependant les doutes persistent quant à un réel changement de l’industrie : « Les acteurs majeurs ont su se réinventer afin de garder leurs places ». L’histoire est loin d’être finie et connaîtra certainement de grands changements dans les prochaines années…

Please follow and like us:
RSS
Follow by Email
Instagram