LA LIBERTÉ D’EXPRESSION, UN JEU D’ENFANT

Développer la capacité de parole et transmettre la liberté d’expression, est un défi pour l’Éducation nationale. Rentrons dans les coulisses de cette institution pour comprendre la méthode, le procédé.  

« La liberté d’expression est le droit pour toute personne de penser comme elle le souhaite et de pouvoir exprimer ses opinions par tous les moyens qu’elle juge opportuns, dans les domaines de la politique, de la philosophie, de la religion, de la morale… Considérée comme une liberté fondamentale, la liberté d’expression est inscrite dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme » (ONU, 1948, article 19).

Depuis quelques années, des événements dramatiques comme la mort de Samuel Paty, les attentats de Charlie Hebdo ou encore le Bataclan, ont remis la liberté d’expression au centre des débats. L’enseignement de cette notion est donc, de par son importance, un incontournable de la mission de l’Éducation nationale. Véronique Guiny, une enseignante d’anglais au collège Saint-Julien à Malestroit nous explique sa manière de procéder. « Pour moi, l’important est d’expliquer à mes élèves qu’ils ont le droit de s’exprimer, de dire ce qu’ils pensent, que l’on est là pour les guider, pour leur donner les grandes lignes. Je leur dis souvent qu’il n’y a pas de pensée unique. On évoque les dictatures, les pays en guerre, au sein desquels il y a effectivement une pensée unique. ». Les inciter à la conversation, valoriser le contradictoire, une sorte de ligne de bien penser qui permet de combattre le sectarisme.

Pour autant, la démarche doit être menée avec une grande prudence car un enseignant n’est pas autorisé à exposer ses opinions devant des élèves « nous, les enseignants, ne portons pas des propos politiques en général » nous explique Catherine Le Blanc, directrice de l’école primaire de Missiriac.

Une capacité qui se révèle très tôt

On a tendance à penser que de jeunes enfants auraient du mal à discuter entre eux de manière civilisée, en réalité il s’agit d’une capacité que l’on peut distinguer assez tôt chez eux. « A l’école primaire, à partir de 6 ans, ils sont capables de discuter entre eux de manière civilisée, d’échanger pour saisir le comportement de l’autre. On dit que 7 ans c’est l’âge de raison, soit la CP pour un enfant (de 6 à 7 ans). A ces âges, on sent un changement de comportement, ils ne sont plus dans le contexte direct, brutal du « si quelqu’un me pousse, je le pousse aussi ». On sent qu’ils n’ont plus besoin de rapporter sans cesse à un adulte, ils peuvent gérer la situation tout seul. » Une capacité que l’on peut également observer et développer dans un contexte extrascolaire. Mathilde Rignaud, directrice des tickets loisirs de Carentoir pour le service jeunesse du Brocéliande Communauté organise des débats avec de jeunes enfants et adolescents. Le constat est frappant : en proposant une idée de sujet, ils sont capables de débattre pendant une demi-heure sans soucis, « il faut savoir que dès le plus jeune âge, chaque personne a cette capacité d’exprimer ce qu’il ressent, d’être d’accord ou pas avec quelqu’un. C’est bien mieux que d’aller bouder dans son coin ou de s’énerver et de se taper dessus, de rentrer dans le conflit finalement. Deux enfants peuvent très bien discuter et argumenter lorsqu’ils ne sont pas d’accord, c’est quand même bien mieux ! » 

Un poste Charlie Hebdo

Il est certain qu’une mise en lumière s’est faite ressentir après les attentats de 2015. Charlie Hebdo fut finalement le retour de cette liberté d’expression dans les débats et dans l’esprit des Français. Et d’après un sondage de C News paru en novembre 2020, 87% des Français pensent qu’elle est menacée. De ce fait une question se pose, est-ce que cette notion a toujours été un aspect important des enseignements de l’Éducation nationale ? Véronique Guiny explique « j’ai toujours connu ça. Alors oui, forcément ces événements ont remis ces débats en pleine lumière notamment après l’attaque de Charlie Hebdo, qui est à mon sens, le premier attentat visant une institution et sa liberté : la presse. De la même manière, Samuel Paty sur le plan de l’Éducation nationale. Évoquer la liberté d’expression dans ce contexte dramatique est peut-être encore moins facile au collège, à ces âges ils sont plus dans l’affect, ils retiennent le geste pas le symbole, au lycée on analyse peut-être davantage. Mais de toutes façons parler de ces événements c’est dur… ». Catherine Le Blanc confirme que ces attentats ont bien eu un impact sur la méthode, « on devient plus sensible, d’autant que les enfants regardent les infos avec les parents. On en parle en classe, ils en ont besoin, on y met peut-être moins d’affectif qu’à la maison.».

L’impact des parents

L’enfant, l’adolescent, le jeune adulte reste toujours confronté à deux réalités qui s’entrechoquent, celle de l’école et celle de la maison « il y a aussi l’extérieur, la pensée de la famille, lorsque que j’entends certaines opinions sortir de la bouche d’un enfant de 15 ans, c’est évident que ce n’est pas lui et qu’il les a forcément entendues à la maison. Puis le jour de la rencontre parents-élèves, nos doutes se confirment. J’ai vu des troisième être racistes ou encore sourire lorsqu’on évoque le nazisme. » nous dit Véronique Guiny. Pour Catherine Le Blanc « il faut les amener à réfléchir, à démêler le vrai du faux dans ce qu’ils entendent. Mais ça reste compliqué alors nous essayons de trouver des exemples sur un événement donné, puis des contre-exemples, leur faisant comprendre qu’il existe aussi un autre discours. ». L’enfant a effectivement ses référents, et il s’agit bien de ces parents, pour Mathilde Rigaud on pourrait même parler des adultes en général. « L’enfant va forcément suivre les mouvements de ses adultes référents, donc les parents ou les instits. Les enfants ont tendance à se raccrocher à des personnes qui sont pour eux au-dessus de tout, ceux qui représentent l’autorité. L’autorité a toujours raison pour eux ». L’idée serait donc de sensibiliser les parents autant que les enfants sur ce principe de liberté d’expression, une option envisagée par Catherine Le Blanc « il y a des interventions pour sensibiliser les parents sur ce genre de choses. On arrive à un point où il faudrait autant éduquer les enfants que les parents sur ces sujets. Leur expliquer qu’en ne peut pas dire où montrer n’importe quoi à un enfant. La réflexion, la manière d’être c’est une hygiène qui doit être transmise d’abord par les parents. En grandissant, certains enfants font cette nuance tout seul. C’est une question de maturité et d’ouverture d’esprit. ». Une ouverture d’esprit qui se conjugue avec la maturité, une qualité qui doit autant être développé par les parents que par les écoles pour la directrice.

Paul Barrière

Crédit photo : https://www.lepoint.fr/invites-du-point/jean-paul-brighelli/brighelli-a-propos-des-droits-de-l-enfant-24-11-2014-1883933_1886.php

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