ENFANTS PLACES : LES SACRIFIES DE LA RÉPUBLIQUE

Certains naissent dans une famille stable, d’autres n’ont pas eu cette chance. En France, ils sont aujourd’hui quelque 300 000 enfants hébergés dans des familles d’accueil. Ce chiffre qui ne cesse d’augmenter depuis vingt ans, nécessite la recrudescence de nouveaux juges, assistants familiaux, éducateurs spécialisés.

Un destin perturbé.

« Placés » … Les enfants sont placés. Tel est le sort de ceux qui ont été abandonnés, parfois violentés par leurs parents. Le mot est barbare c’est indéniable mais au-delà de la dialectique, l’important pour eux est de se reconstruire. Ils ont besoin de repères, de repères stables et parfois les séparer des personnes qui les ont mis au monde est ce qu’il y a de mieux pour eux. Pour Camille 18 ans, accueillie dans une famille depuis ses deux ans, le parcours a parfois été difficile mais elle est aujourd’hui lucide : « Je vivais mon placement comme une injustice, aujourd’hui ce n’est plus le cas, j’ai conscience que mes parents n’auraient jamais pu s’occuper de moi, m’alimenter correctement, finalement c’est un mal pour un bien. »

Bien évidemment, le placement n’est pas idéal mais c’est une réponse à une situation d’urgence et cela protège les enfants. Pourtant, au départ il est souvent pris comme une sanction, – crises de colère à répétitions, énurésie jusqu’à l’adolescence, troubles du comportements alimentaires – René Diaktine, psychiatre connait ces désarrois « un enfant a besoin d’un père, d’une mère, d’une maison. » Lorsqu’il est placé, il manque des trois.

Famille d’accueil, l’espoir de ces sacrifiés.

L’ASE, l’aide sociale à l’enfance a repris en 1983 le chemin de ce qu’on appelait la DDASS. Cet organisme prend en charge les enfants malmenés par la vie avec des objectifs précis, les protéger avant tout et essayer de leur offrir le meilleur avenir qui soit. Pour cela, des familles les accueillent, aux nombres de 40 000 en 2020.  Un métier comme une vocation. Assistance familiale depuis cinq ans, Gabrielle confie « j’ai décidé de m’engager dans ce métier pour donner une chance à ces enfants d’évoluer dans la vie, aux côtés d’une famille bienveillante, et solide. » Ainsi, grâce à ces familles, ces enfants dont la construction a été interrompue où traitée par la violence retrouvent l’espoir. « Je me suis tout de suite sentie à l’aise et aimée dans mon nouveau foyer, ils m’ont accueillie les bras ouverts. On s’est tout de suite trouvés ! » Camille en garde un souvenir ému. Consciences apaisées, ils participent aussi à la vie familiale, « On est également là pour effectuer un travail éducatif, les faire grandir, nous ne sommes pas seulement là pour les nourrir » insiste l’assistante familiale. Évoluer, grandir dans un cadre structuré est essentiel, cependant le mot « famille » reste complexe pour ces enfants placés. Quelle est sa signification pour eux ? A quelle famille ont-ils le sentiment d’appartenir ? Élisa, éducatrice développe : « Une famille d’accueil peut apporter un cadre sécurisant avec une prise en compte des besoins primaires, affectifs, et éducatifs au quotidien, ce qui permet de les rassurer. Cependant, ils sont tiraillés entre la relation qu’ils entretiennent avec leur famille d’accueil et leurs parents, ils vont développer un conflit de loyauté… Ce qui est dommage car que cela ne leur permet pas de profiter pleinement de l’accueil et de ce que cela pourrait leur apporter. » Pour une cohérence renforcée et en collaboration avec les familles d’accueil, des éducateurs spécialisés œuvrent également pour apporter cet équilibre nécessaire.

Un système à bout de souffle ?

En France, la protection de l’enfance concerne les enfants de 0 à 18 ans et peut se poursuivre de façon plus resserrée jusqu’à 21 ans avec un contrat « jeune majeur », accompagnement qui se doit d’être de confiance. Cependant, les familles d’accueil et foyers surchargés sont la réalité d’aujourd’hui. Gabrielle, assistante familiale confirme « Il y a de moins en moins de familles, c’est un métier difficile, nous avons rarement de temps de repos, nos demandes de relais pour souffler un week-end sont annulées. De plus, le manque de soutien du service de l’ASE fait que l’on s’épuise, mais eux aussi sont débordés. » En effet, un éducateur a en moyenne trente situations d’enfants à gérer au quotidien, et leurs missions sont denses : effectuer des rapports écrits, assister aux visités médiatisées entre les parents et l’enfant, se rendre aux audiences, opérer des réunions pour réviser les situations. « Les visites parents-enfants sont de plus en plus fréquentes, ordonnées par les juges. Ces derniers nous demandent davantage d’écrits, pour confirmer les évènements qui se passent dans les familles donc tout cela limite le temps qu’on peut passer avec eux. Et, face aux problématiques les plus complexes, on est démunis dans les réponses que l’on peut apporter. » Explique Élisa. Alors, la surcharge de travail des éducateurs à de lourdes conséquences, certains jeunes de l’ASE se retrouvent à l’hôtel : seuls. Des mesures non-acceptables, mais inévitables. « L’ASE n’a pas toujours été là pour moi, mon éducatrice ne m’a pas assez accompagnée, je ne la voyais que deux fois dans l’année, elle ne m’appelait pas suffisamment » évoque Camille, enfant placée.

Et après ?

Alors, les moins chanceux qui n’ont pas trouvé place dans des familles aimantes, n’ont d’autres solutions que d’aller vivre dans un foyer, cependant des problèmes persistent. En effet, la Haute autorité de santé relève que 60% des enfants placés en foyer son victimes de violences  entre viols, humiliations, et bagarres, leur quotidien peut devenir infernal. En France selon la cour des comptes, les foyers ne sont contrôlés qu’en moyenne 1 fois tous les 26 ans… Élisa précise « La question des violences entre les jeunes dans les foyers est une question qui préoccupe l’ASE, malheureusement le manque de places dans les structures, dans les familles d’accueil, nous oblige parfois à faire cohabiter des jeunes qui ont des problématiques incompatibles, ce qui entraine de la violence entre eux ; les travailleurs sociaux demandent depuis longtemps et régulièrement la présence de psychiatres dans les structures, car on a de plus en plus de jeunes qui ont des troubles psychologiques graves ce qui n’est pas forcément retenu comme choix par les élus, donc on doit œuvrer avec les moyens que l’on a et les choix politiques, pour mener au mieux les conditions d’accueil mais cela reste malgré tout parfois compliqué »

Et après ? 18 ans synonyme de majorité et d’autonomie ? Ceux qu’on appelle encore les enfants de la DDAS, se retrouvent du jour au lendemain livrés à eux-mêmes, pour les plus chanceux l’aide sociale à l’enfance les accompagne avec un contrat dit jeune majeur jusqu’à leurs 21 ans. Cependant, faute de moyens, cette aide se fait rare et sonne comme un accélérateur d’inégalités, un sécateur de rêves. « Quand j’étais plus petite je n’ai jamais rien réclamé à l’ASE, je n’ai jamais supplié d’aller en colonie par exemple et lorsque je leur ai juste demandé de financer mes études avec un contrat jeune majeur, cela a été refusé. Je me sens incomprise. » Les mots de Camille, les mêmes que ceux de nombreux jeunes et enfants résonnent bien tristement…

 

NUMÉRO D’URGENCE : 119

 

 

 

 

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