CYBERHARCELEMENT : LA DETRESSE SOUS SILENCE DES VICTIMES

En France, un enfant sur dix déclare avoir été victime de violences en ligne. Stress, perte de confiance en soi, dépression : les conséquences de ces violences sont grandes. Un phénomène qui prend de l’ampleur, accentué par la montée en puissance des réseaux sociaux.

“Insultée. Rabaissée. Humiliée”. Voici les mots choisis par Manon pour décrire sa situation sur les réseaux sociaux. Lors de son adolescence, cette jeune femme avait pour habitude de partager des photos d’elle sur Instagram, mais très vite, les premiers messages de haine sont apparus. “J’ai reçu de plus en plus de messages d’insultes, qui critiquaient ma tenue ou mon physique”. Après avoir lutté pour ne pas donner raison à ses agresseurs, elle finit par céder, et décide de fermer son compte six mois après sa création. Malheureusement, Manon fait partie de ces millions de jeunes qui ont été victimes de cyberharcèlement durant leur enfance. Il touche chaque année 12,5% des Français âgées de 6 à 18 ans, soit près d’un million d’élèves par an. Ce chiffre est d’autant plus inquiétant qu’il ne cesse d’augmenter, la haine sur les réseaux étant de plus en plus présente et les jeunes ayant accès à Internet de plus en plus tôt. Ces mêmes jeunes, qui, à l’âge de la construction de leur identité, attachent une grande importance au regard des autres. Lucas, lui, n’avait que 14 ans lors qu’il a souffert des premières moqueries, sur Twitter. “J’avais pour habitude de commenter régulièremen certaines publications pour y donner mon avis, je trouvais intéressante l’idée de partager nos opinions”. Cependant, celui-ci se rend vite compte que le débat est inexistant, laissant plutôt place en échange à des messages de haine et de menaces causées par ses opinions différentes. “J’étais jeune et je ne comprenais pas pourquoi toute cette violence m’était adressée. J’ai essayé de calmer les discussions mais on ne m’écoutait pas. Il m’est même arrivé de recevoir des menaces de mort contre moi ou ma famille”. Des menaces qui peuvent paraitre anodines par les agresseurs, mais qui sont traumatisantes pour ceux qui les subissent.

“J’ai commencé à me faire du mal”

Perte de confiance en soi, introversion renforcée, dépression, telles sont les conséquences de ce harcèlement. Une détresse qu’il est parfois difficile de partager avec ses proches. “Je n’étais pas à l’aise pour en parler avec mes parents”, explique Nathan, visé par les critiques pour son orientation sexuelle. “c’est un sujet qui est encore peu évoqué dans notre société, j’avais l’impression d’exagérer et de dramatiser la situation. J’ai même, à un moment donné, commencé à penser qu’il était normal que je me fasse insulter à cause de mon orientation sexuelle, et j’ai refoulé celle-ci ». Ce silence face à cette détresse peut parfois être désastreux pour la santé mentale de l’individu. Consommation d’alcool, prise de médicaments, blessure volontaire. Le risque le plus grave ? La mort. En effet, si le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les jeunes de 15 à 29 ans, c’est en partie la faute des réseaux sociaux. Lucas explique qu’il lui est déjà arrivé de penser à cette échappatoire. “Je recevais assez régulièrement des messages me disant de me suicider. Au départ je les lisais avec humour, mais à force d’en recevoir tout le temps, j’ai commencé à y prêter attention. Mon moral se détériorait au fil des mois, et il m’est arrivé de penser à me suicider une ou deux fois pour stopper cette douleur mentale permanente. Heureusement, j’ai pensé à mes proches et j’ai fini par réussir à remonter la pente”. “Les individus victimes de harcèlement passent par plusieurs étapes durant cette période, tel un cycle”, explique la sociologue Catherine Blaya. “Commençant par le déni, la victime passe ensuite à l’étape de la colère, puis de la dépression. Pour se sortir le plus rapidement de cette situation, elle doit avoir une réelle prise de recul afin d’accepter le fait qu’elle soit victime de harcèlement, afin, d’enfin, se confier”.

Pour ces personnes persécutées, à la recherche d’une échappatoire, tous les moyens sont bons afin de soulager, même partiellement, cette douleur mentale. La mutilation- voilà par quelle épreuve est passé Manon, alors âgée de seulement 17 ans. Un moyen pour elle de faire du mal à son corps, principale cible des moqueries subies. “ Avec toutes ces remarques sur mon physique, j’ai commencé à le haïr et me mutiler était pour moi un moyen de répliquer. J’avais l’impression que cela me soulageait sur le coup, l’histoire de quelques instants. Mais finalement, tout ce que cela m’a apporté, c’est un sentiment de honte. Je portais tout le temps des manches longues, même l’été, car je ne voulais pas qu’on voit les cicatrices sur mon bras…”. Bien qu’effroyable, cette pratique est assez courante chez les personnes étant en situation de malaise social. “L’automutilation vise à maintenir ou retrouver provisoirement un état émotionnel considéré comme « normal » afin de continuer, malgré tout, à se comporter « normalement » en société” explique Baptiste Brossard, sociologue. “Je me suis rendu compte par la suite que je me trompais de fautif : je ne devais pas en vouloir à mon corps, mais bien aux personnes qui le critiquaient”.

Prison pour les agresseurs

Un an de prison et 7 500€ d’amende. Voilà la peine possible pour une personne coupable de cyberharcèlement. Et pourtant, malgré cette lourde sanction, ce phénomène ne régresse pas. Pire, il augmente. Un accroissement possible par le sentiment pour les harceleurs d’être intouchables, puisque derrière leur écran, ils se sentent en sécurité, ne se doutant pas des sanctions qu’ils risquent. Ceux-ci sont le plus souvent des adolescents, qui, sans se rendre compte des conséquences, se moquent d’un camarade de classe. Mais ce n’est pas le seul profil de harceleurs, et ils ne correspondent pas nécessairement aux idées que l’on s’en fait puisque derrière les écrans on découvre également des hommes de trente, quarante ans, ayant une bonne situation professionnelle : cadres, médecins. Ces mêmes hommes qui expliquent devant la justice qu’ils ne se rendaient pas compte de l’impact de leurs actions, car pour eux tout ceci n’était qu’un jeu. “Ils ont du mal à percevoir l’impact négatif que peut avoir leurs mots sur une personne. Lorsque j’échange avec eux sur leur pratique, ils n’emploient jamais le mot harceler. Ils préfèrent utiliser d’autres mots comme “embêter” ou “taquiner””, déclare la psychiatre Nicole Catheline. Ce n’est seulement lorsque la victime raconte l’enfer qu’elle a subi que ceux-ci prennent conscience de la stupidité de leurs actes, tel un déclic.

La plupart du temps, les harceleurs agissent en groupe. “Je ne l’ai jamais fait seule. Il s’agissait de défis que l’on se lançait avec mes amis” explique Louise. “C’est à celui qui trouvait la provocation la plus choquante. Je pense que je faisais ça pour me faire remarquer et trouver ma place”. La recherche d’une identité serait donc la source de motivation, accentuée par le sentiment de soulagement de ne pas être la cible de ses attaques. “En faisant ça, on ressent forcément un sentiment de puissance, car on se sent meilleur que l’autre. J’avais, pour la première fois, une forte impression d’avoir du pouvoir. Alors que j’ai passé une bonne partie de ma vie à jalouser les autres, je pouvais pour la première fois diriger ma frustration sur une autre personne. C’est seulement lorsque je me suis fait punir par la loi que je me suis rendu compte de mon erreur, et je m’en suis énormément voulu”.

Ainsi, le cyberharcèlement continue de prendre de l’ampleur dans notre société, encouragé par des harceleurs à la recherche d’un sentiment de supériorité, et par des victimes encore bien trop muettes…

NUMERO D’URGENCES : 3018

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