COVID19 : QUE NOUS APPREND L’HISTOIRE ?

A. Klein, historien de la santé, installé au Canada, analyse la gestion politique et sanitaire de la Covid 19 à la lecture de l’histoire des pandémies. Un éclairage salvateur en cette période de polémique grandissante.

Est-ce que la pandémie actuelle peut être comparée aux autres pandémies qui ont eu lieu dans le passé comme la peste noire ou la grippe espagnole ?

Oui bien sûr pour différentes raisons. La peste noire est arrivée en Europe depuis l’Asie, suivant les routes commerciales. La Covid est également de cette région… Après être apparue en Chine, elle s’est rapidement répandue. Elle n’est donc pas différente des anciennes épidémies, au sens où elle s’appuie sur nos réseaux de communications (les avions dans ce cas) pour se propager à travers le monde.

Il y a un autre point de comparaison évident, ce sont les méthodes de lutte contre la pandémie. Le confinement, la quarantaine, les certificats pour sortir… Ce sont des protocoles qui existent depuis vraiment longtemps. La quarantaine a, par exemple, été inventée au Moyen-Âge et pendant la peste de Marseille en 1720, on utilisait déjà des bulletins de santé pour permettre aux gens de voyager. Donc oui, on peut comparer. D’ailleurs les réactions sont les mêmes. Comme on a vu les Parisiens fuir la ville avant le premier confinement, les riches Marseillais ont fui Marseille lorsque la peste s’y est déclarée en 1720.Plus généralement, il y a des invariants dans l’histoire des épidémies Il faut toujours trouver un coupable, souvent l’étranger. La syphilis fut ainsi longtemps nommée le mal français par les Italiens, tandis qu’on l’appelait le « mal napolitain » en France. Autre exemple, la grippe espagnole n’avait rien d’espagnol puisqu’elle a débuté au Etats-Unis. Mais c’était la guerre et personne ne voulait alerter sur les cas existants, or l’Espagne était neutre et a déclaré ses cas ! C’est ainsi que cette épidémie est devenue la grippe espagnole. Comme vous le voyez les comparaisons sont nombreuses, néanmoins, la pandémie de la Covid-19 est très marquée par son époque, c’est une maladie du 21ème siècle, de la mondialisation, de la destruction des milieux naturels, de la déforestation, etc.

Comment les historiens en général vont retranscrire l’histoire de cette épidémie car il y a une mondialisation plus importante aujourd’hui et qui touche tous les continents.

En effet, elle touche tous les continents, mais c’était déjà le cas pour la grippe espagnole, mais également pour la grande peste noire du 14ème siècle, arrivant avec les marchands qui vont de l’Asie jusqu’à l’Italie par la route de la soie. Ce sont des connexions entre différents pays à travers le monde qui amènent ces pandémies. Donc ce n’est peut-être pas la caractéristique de la Covid-19.Elle a d’autres caractéristiques. C’est la première épidémie pour laquelle on compte au jour le jour le nombre de gens qui sont morts ou malades. Pour un historien des épidémies c’est incroyable ! Rappelons que pour la grippe espagnole, nous hésitons entre 20 et 50 millions de personnes. Même pour le sida, nous ne sommes pas certains du nombre exact de personnes touchées.

Puis ce qui est particulier, ce n’est pas tant la mondialisation mais plutôt la vitesse à laquelle elle s’est répandue parce que, certes, elle est contagieuse, mais moins qu’Ebola ! Cependant, l’interconnexion entre les pays est tellement forte qu’elle s’est répandue extrêmement vite. Ce n’est donc pas la mondialisation, qui la caractérise puisqu’elle existait déjà au 14ème siècle mais plutôt donc l’interconnexion intense de notre monde.Ce qui est intéressant aussi dans cette pandémie que l’on peut suivre en direct, ce sont les différences de traitement, aucun pays ne s’accorde sur la gestion de la crise. Cela nous rappelle que la santé publique tient d’abord du politique.

Justement, vous parlez des politiques. Est-ce que vous comprenez les décisions et les choix mis en place en ce moment même pour contrer le virus ?

Pas toujours (sourire), je comprends très bien qu’il faille mettre en place des mesures, mais je suis plutôt étonné comme je le disais plus haut par la gestion des différents pays.Je ne vous cache pas que je ne suis pas forcément partisan du couvre-feu. D’abord parce que ça n’a pas totalement démontré son efficacité et ensuite et surtout parce que cela favorise les inégalités sociales. Ce sont les gens les plus pauvres et les plus vulnérables qui sont atteints le plus par cette mesure, par rapport à des gens qui vivent dans des grandes maisons par exemple.

Mais je suis toujours très étonné de ce qui se passe en France. Je travaille également à l’université, et en France, les gens ont toujours des réunions en présentiel. Au Canada ça fait plus d’un an que nous sommes en télétravail.

Le problème est l’équilibre entre le politique et la science, il faut que les gens acceptent cela, chaque pays navigue comme il le peut.  Il faut que tout cela soit le plus cohérent possible. Prenez l’exemple de la France, tout le monde attendait le 3ème confinement, qui est probablement une bonne idée, mais finalement on a choisi le couvre-feu à 18 heures, c’est-à-dire qu’on va laisser ouverts les grands supermarchés alors que l’on sait que c’est ici qu’il y a les plus gros clusters, de même pour les écoles et les lieux de travail. C’est donc plutôt ce point qu’il faudrait ré-analyser et je suis surpris, à cet égard, qu’il n’y ait pas eu de 3ème confinement annoncé.

Et justement est ce qu’en faisant cela, le président ne se trompe pas ?

Je ne suis pas là pour juger, je n’en sais rien, je ne suis pas épidémiologiste. Ce que j’entends par contre, c’est que le conseil scientifique réuni autour de lui appelle depuis longtemps à un 3ème confinement. Et lui le repousse parce qu’à la fois, probablement, l’acceptabilité sociale n’est pas là et que les citoyens et citoyennes ne sont pas encore prêts. Derrière, il y a des gros intérêts financiers qui rentrent en conflit avec les décisions qui pourraient être prises.

On voit de nombreux scientifiques, depuis le début de l’épidémie, se contredire sur les décisions que doivent prendre ou non les dirigeants politiques, est ce que chez les historiens il y a ce même constat ou bien au contraire on retrouve un peu une sorte de pensée unique ?

La science c’est le débat. Et c’est pour cette raison que le grand public ne comprend pas toujours. Pour nous, les scientifiques, cela fait partie de la controverse scientifique.

Donc pour vous c’est normal ?

Oui, d’autant plus que c’est une chose nouvelle. Il y a un fond commun sur lequel les gens sont d’accord mais après il y a des interprétations divergentes, des compréhensions et des réalités qui diffèrent donc il y a des débats. Cela est normal et sain, c’est comme cela que la science avance. Mais le problème n’est pas là. La question est de savoir si l’on préfère faire débattre un scientifique et un non scientifique, et de mon côté je pense que cela ne fait pas sens. Pour autant c’est normal qu’il y ait des débats et encore plus sur les solutions à apporter à la Covid-19, parce qu’il n’y a pas que des enjeux scientifiques, il y a également des enjeux politiques et sociologiques. Après, ces questionnements doivent avoir du sens, je pense par exemple au cas du professeur Raoult. A partir du moment où la science a prouvé que la chloroquine ne fonctionne pas, ça ne sert à rien à continuer à en parler.

On voit beaucoup de scientifiques dans les médias, mais finalement peu d’historiens, est ce que vous le comprenez ? Est-ce un choix des historiens de se mettre volontairement en retrait ou est-ce un oubli, une volonté des médias ?

Je comprends votre question, mais je la tempérerais quand même parce que de notre point de vue, nous sommes vraiment sollicités. Nous sommes en temps de pandémie et les gens s’intéressent à l’histoire des pandémies.

Mais il faut savoir que nous ne sommes pas beaucoup d’historiens qui travaillons dans le domaine de la santé. Deuxièmement, les médias veulent souvent nous demander des choses que l’on ne sait pas. Ils nous invitent en tant qu’historien mais nous posent des questions sur ce qui se passe aujourd’hui. Ce n’est pas notre travail. Je peux seulement donner mon avis de citoyen. Les médias ont des difficultés à travailler avec les scientifiques, c’est très compliqué, souvent on leur demande tout et n’importe quoi, quelque chose qui n’a rien à voir avec ce dont ils sont spécialistes. Cela conduit les scientifiques à se méfier des médias et les médias à inviter toujours les mêmes personnes qui maitrisent l’apparition médiatique. Je pense que c’est dommage car cela nuit tant au travail de vulgarisation qu’à la qualité de l’information et du débat public.

Le passé nous apprend donc que gérer une pandémie est une chose possible. Mais entre les problèmes sociologiques et surtout économiques les pays ont tous une approche différentes pour y faire face. Reste à savoir quels seront les prochaines décisions notamment un 3ème confinement ainsi que les impacts sur les gens.

Le Canada est un pays fédéral divisé en plusieurs provinces décisionnaires quant à la gestion de la crise sanitaire. Au Québec par exemple, le nombre de cas est passé d’environ 2 500 cas par jour contre aujourd’hui près de 1000 cas par jour en deux semaines. Un confinement débuté il y a plus d’un an puis renforcé par un couvre-feu il y a plus d’un mois qui semble donc porter ses fruits.

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