STATIONS DE SKI : COMMENT COMPENSER LA FERMETURE DES REMONTÉES MÉCANIQUES ?

Benoit Cloirec, coordinateur du plus grand domaine de ski alpin français et responsable de dix salariés, évoque la situation des Portes du Soleil. Face à la pandémie, les acteurs du monde des sports de neige ont fait preuve d’innovation pour séduire les clients qui restent malgré tout réticents à l’idée de venir profiter de la montagne cet hiver.

Vous vous trouvez dans une situation inédite avec un domaine franco-suisse. Quel est votre point de vue sur cette situation ?

Au domaine des Portes du Soleil la situation est très particulière puisque le côté français est fermé et le côté suisse, qui représente 25% du domaine, est ouvert.

Mais cela étant dit, je ne comprends pas totalement la fermeture des remontées mécaniques. Les arguments du gouvernement, je les entends, mais il n’a pas été démontré que les stations de ski généraient plus de cas de Covid que les supermarchés ou le métro. C’est même le contraire en Suisse.

Après avoir interdit la fréquentation des bars, des restaurants, des cinémas, … les stations de ski sont privées de leur revenu principal. Selon vous, quelles sont les objectifs des politiques français en fermant les remontées mécaniques ?

Je crois que l’objectif du gouvernement est d’empêcher les gens de partir en vacances. On sait bien que ce n’est pas en plein air qu’on attrape le COVID facilement. Regardez ce qu’il se passe dans les écoles, le sport en extérieur est toujours autorisé mais pas le ski. On considère donc cela comme un non-sens gouvernemental, on a l’impression que notre fermeture n’est qu’un dommage collatéral des décisions prises en amont.

Justement, vous dites être une victime collatérale de la politique d’Emmanuel Macron. Cependant, il a décidé de vous aider. Pouvez-vous nous faire un point sur ces aides promises par l’état ?

Pour obtenir des aides de l’état c’est très compliqué. On ne les a pas touchées pour les remontées mécaniques depuis deux mois et demi, la démarche est très longue. On a eu quelques contacts avec les responsables des aides et de nombreuses promesses ont été faites mais peu d’actes pour l’instant, on fait, pour autant confiance au gouvernement. Jean Castex vient des Pyrénées, il connait l’importance de cette période pour nous.

Par conséquent vous misez énormément sur les potentielles aides financières qui vous ont été promises. Mais peut-on prévoir des faillites de certaines stations à l’avenir ?

Je ne peux pas vous répondre car cela dépend du soutien de l’état. Pour les petites stations comme La Chapelle d’Abondance, Saint-Jean d’Aulps, … cela pourrait être la faillite des sociétés de remontées mécaniques, mais comme le gouvernement a prévu d’aider, ça devrait le faire, pour autant, je ne peux pas être plus précis. Nos bilans comptables s’effectuent d’octobre à octobre, on est au début d’année pour nous. Actuellement, on a rentré 0 € et on fait des avoirs pour les gens qui avaient réservé. Les conséquences de cette crise s’analyseront peut-être que dans trois ans.

J’imagine tout de même que vous avez dû innover, trouver des alternatives pour malgré tout maintenir une certaine activité dans les stations villages…

Évidement on a proposé des nouvelles activités : ski de randonnée sécurisé, balisé, fléché, damé, sans risque d’avalanches, patinoire sur lac, raquettes, … Pour le ski de fond, on a amélioré le service, on a essayé de s’adapter aux conditions, l’être humain est comme ça, il essaie de trouver des solutions pour minimiser les conséquences. C’est ce qu’on a fait.

Maintenant ça ne comble pas du tout l’écart financier avec les remontées mécaniques. Pour faire simple, un forfait ski de fond coute 5-10 € alors qu’un forfait remontées mécaniques coute 50€. Ce n’est pas du tout la même économie.

Cette crise vous encourage à vous réinventer, à trouver de nouvelles perspectives pour le développement de vos stations. Comptez-vous conserver tout ce qui a été mis en place en l’absence des remontées mécaniques ?

Je sais que certaines stations vont les conserver, alors que d’autres, plus petites stations, n’auront pas le personnel pour jouer sur tous les fronts. Les gens qui ont été embauchés, ont servi à diversifier les activités. Actuellement je ne peux pas vous répondre pour le domaine car chaque station est indépendante.

Élisabeth Borne encourage les stations à embaucher du personnel pour le mettre au chômage. Comment les Portes du Soleil se sont positionnées sur ce point ?

On fait ce qu’elle nous a dit de faire. Le gouvernement nous dit « embauchez des gens et on les mettra au chômage ». On a donc employé des saisonniers. On pense à ces gens-là, qui sont saisonniers, qui ont l’habitude de venir travailler pour nous, et là d’un seul coup tout s’arrête. C’est une stratégie, celle du gouvernement. Pour ces pauvres saisonniers c’est bien, après on créé des chômeurs en plus.

Nous on a procédé de la manière suivante : on a recruté car il fallait qu’on soit prêts. Imaginez, en octobre, le gouvernement nous dit que peut-être, on pourra ouvrir en décembre, puis les politiques nous informent qu’on en reparle en janvier. Donc il nous fallait des employés sous le coude au cas où. C’est triste à dire, mais c’est la réalité.

Et en se projetant à court terme, comment voyez-vous la fin de la saison 2020/2021 ?

On a le sentiment malheureux qu’on ne pourra pas faire grand-chose. Le gros de la saison est en février. Les vacances ont commencé le 6, donc on verra l’influence, mais bon, on nous a dit que fin février c’est mort. On ne voit pas trop comment l’épidémie va reculer d’un seul coup. On sait qu’elle va diminuer petit à petit. Et donc on avisera au fur et à mesure.

Faisons le lien avec les saisonniers. Vous évoquiez le manque de projection à court et moyen terme. D’autant plus que cette année, tous les éléments étaient présents pour réussir une grande saison. Comment ont réagi les employés face à cette difficulté ?

Tout d’abord, c’est en effet frustrant de ne pas pouvoir ouvrir avec autant de neige. On n’avait pas vu ça depuis 2011. Mais je ne peux pas dire grand-chose de plus. On nous a interdit d’ouvrir les remontées mécaniques. C’est comme ça.

En ce qui concerne nos employés, on observe un sentiment de déprime car ils n’ont pas d’objectif. Je prends l’exemple des salariés de l’événementiel : Ils ne savent pas quand ils vont reprendre. Aujourd’hui ils sont au chômage partiel. Ils travaillent deux jours par semaine pour traiter les dossiers, essaient d’envisager des possibilités mais ne savent pas si leurs projets seront réalisables. Et quand vous n’avez pas d’objectif, c’est difficile de garder une motivation. Mais je veux tout de même nuancer. Certains vont pouvoir profiter de passer du temps en famille, avec les enfants. On a vraiment deux types de réactions face à cette pandémie.

Vous nous avez expliqué que les saisonniers avaient du mal à se projeter. Et vous, en tant que coordinateur, vous devez forcément anticiper la suite des événements et notamment la saison prochaine…

On espère déjà un bon été puisque nous travaillons en ce moment sur cette période estivale qui commencera fin mai. Il faut savoir, qu’aux portes du Soleil, c’est assez particulier, mais on a un été qui est très puissant, très fort, notamment avec le VTT. L’année dernière a plutôt été bonne au vu du contexte car on a seulement fait -15% par rapport à d’habitude.

Pour l’hiver prochain, on espère un retour à la normale et fonctionner sur les chiffres de 2019/2020 et non la saison 2020/2021.

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