LE RIDEAU N’EST PAS TOMBÉ SUR LES SCÈNES DU GOLFE !

Fermés depuis le 30 octobre, date du début du second confinement en France, les théâtres, salles de spectacles et cinémas, sont restés clos après l’échéance du 20 janvier. L’aparté de la pandémie n’a toujours pas été bouclé. Depuis, aucunes perspectives d’ouverture et d’avenir n’ont été données par le gouvernement. Gislaine Gouby, directrice des Scènes du Golfe à Vannes, revient sur cette période extraordinaire.

Le secteur culturel a été mis à mal durant 2020, et l’année 2021 ne s’annonce guère plus joyeuse. Comment ça se passe pour les Scènes du Golfe ?

Nous avons eu une fenêtre miraculeuse fin septembre – début octobre, et avons même pu faire certains spectacles, notamment le festival « Les Émancipées ». Après une période bien terne, ce fut une vraie joie. Cependant, depuis octobre, les règles sont un peu différentes, il y a bien des artistes qui travaillent sur les plateaux et font un travail de répétition pour leur prochaine création, nous nous sommes également lancés, dans la production de la lecture intégrale d’un livre de Charles Ferdinand Ramuz, « Si le soleil ne revenait pas » lu par un comédien d’une compagnie basée à Auray – treize chapitres d’une durée variable (entre 11 min et 45 min) et dont le contenu est visionnable sur notre site et nos réseaux sociaux – mais nous ne proposons plus de spectacle vivant.

Pensez-vous vous dirigez de plus en plus vers ce type de format ?

De plus en plus, je ne crois pas. Je continue de penser que le spectacle vivant, le silence de 800 spectateurs qui se regardent les uns les autres est une chose totalement irremplaçable. La vidéo, la visio est une manière d’exister mais je trouve que quelque chose manque, d’irremplaçable, la rencontre entre les artistes et un spectateur. Le fait que les gens viennent dans des théâtres y applaudir des artistes, cette ambiance, on ne la retrouve pas sur la toile. Je n’exclus pas d’en faire une par an, ce qui serait vraiment nouveau dans notre façon d’organiser les choses. Nous l’avons d’ailleurs déjà fait et nous étions tous très contents mais je ne souhaiterais pas que cela devienne pérenne. Mais surtout, je reste optimiste sur l’après Covid ! Je suis certaine que les gens reviendront massivement dans les salles de théâtre pour y voir des spectacles de danse, de cirque, de chansons, parce que ce qu’on y vit n’est pas reproductible.

J’imagine que les pertes financières ont-été importantes depuis le premier confinement…

On a très bien géré 2020 et l’année se termine en équilibre. Pour autant, on s’apprête à faire une année 2021 qui commence très mal, j’ai peur qu’on ne puisse pas rouvrir avant septembre au public et à demi-jauge. Pour le moment, financièrement, on tient le choc parce que nos partenaires ne nous ont pas lâchés, ce qui était vraiment la condition sine qua non ! Il faut également noter que l’on dépense moins : économie de transports des artistes et des techniciens, frais d’hébergement et de restauration. En conclusion tant que les subventions nous sont versées à 100%, on n’hypothèque pas sur l’avenir. D’un point de vue plus psychologique, je travaille, sur la saison de 2021-2022 comme si de rien n’était, mais je ne vous cache pas que je perds des artistes dans la bataille. Je garde cependant espoir et s’il y a une bouffée d’air cet été, on essaiera de faire des choses à l’extérieur. Pour ce qui est de la production de représentations à l’intérieur, cette question est encore conditionnée à l’évolution de l’épidémie et il est vrai que je ne saurais répondre à cette question.

Est-ce que certains artistes qui travaillaient avec vous, vivent aujourd’hui une certaine forme de précarisation ?

Il y a de nombreuses aides et fonds de soutien. Bien évidemment, ils gagnent moins d’argent qu’avant la Covid mais, tous ceux avec lesquels j’ai discuté, se disent soutenus. Inquiets aussi de l’échéance prévue autour du 31 août concernant l’année blanche. Ils espèrent tous qu’il y en aura une de plus, ce qui leur permettrait d’être totalement rassurés, financièrement bien sûr, mais n’oublions pas, ce n’est pas une simple histoire d’argent, les artistes ont besoin de scène, de jouer, c’est peut-être ce qui leur manque le plus. Je voulais aussi ajouter que les CDD d’usages¹, sont les grands oubliés des aides de l’État. Je pense aussi à tous ces jeunes artistes qui débutaient et qui sont dans une situation très fragile.

Les mesures qui ont été prises par le gouvernement et par Roselyne Bachelot vous semblent-t-elles suffisantes ?

C’est toujours compliqué de s’exprimer sur les choses plus politiques mais les mesures positives prises par ce gouvernement, notamment concernant l’année blanche² pour les intermittents du spectacle sont loin d’être négligeables. Pour le moment, le ministère de la Culture, la DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles) et toutes les collectivités desquelles on dépend : le département, la région, l’agglomération et surtout les villes de Vannes et d’Arradon ont maintenu la totalité de leurs subventions. Grâce à cela, lors du premier confinement, nous avons pu payer intégralement tous les artistes qui n’avaient pas pu jouer. Depuis octobre, nous pouvons indemniser la totalité des compagnies qui ne peuvent pratiquer et avec lesquelles je n’ai pas de possibilité de report à la saison prochaine.
Pour autant, la suppression de notre accès à la culture, est une mesure assez brutale. Voilà, je pense qu’il faut dire les deux choses en même temps, d’un côté c’est d’une grande brutalité sociétale, de l’autre un État et les collectivités qui ont répondu jusque-là présent. Ce qui permet aux artistes notamment ceux qui travaillent dans les structures subventionnées de ne pas être, pour le moment, confrontés à des difficultés matérielles qui viendraient complètement remettre en cause la vie et le fonctionnement quotidien des arts dans ce pays.

Ce que je trouve dommage depuis la fermeture des cinémas, des musées et des théâtres, c’est qu’il y ait une sorte d’uniformisation de la culture quand on voit par exemple les plateformes numériques qui ont largement profité de la pandémie. Quel est votre avis ?

Je pense qu’on est dans un changement radical « d’accès à la culture » notamment avec toutes ces plateformes de téléchargements musicales. Je suis plus à l’aise pour parler de ça que de Netflix parce que le cinéma et l’image ne sont pas exactement mon domaine. La manière d’écouter de la musique est complètement chamboulée, avec des droits d’auteur qui sont totalement inexistants pour 98% des artistes français, c’est une vraie préoccupation. À part cent artistes qui vendent des disques, tous les autres sont écoutés soit sur Spotify soit via des abonnements sur Apple ou sur n’importe quelles autres plateformes de streaming ou de téléchargement. Cela modifie toute l’économie artistique et pour le moment, au détriment des artistes. C’est un très grave problème et il y a de nombreuses négociations qui sont menées pour la rétribution des auteurs ainsi que sur la question du droit d’auteur. Les artistes doivent gagner 3 centimes d’euros pour 10 000 écoutes, c’est hallucinant, c’est un truc totalement inégalitaire. Donc, la grande bataille des années à venir sera une bataille juridique. Les artistes en sont conscients et il y a des vraies pointures à leurs côtés. Mais face à eux, il y a des blocs, d’une puissance financière colossale qui n’ont pas envie de partager le gâteau, c’est d’ailleurs la même chose pour la presse. Aujourd’hui les gens veulent tout avoir sans rien payer, les consommateurs entre guillemets, ont également une part de responsabilité. C’est un changement de mentalité très dangereux, mais soyons honnêtes au court terme, payer une petite somme et écouter de la musique, regarder des séries et des films à volonté arrange tout le monde, moi y compris. Pour autant, ce n’est pas possible, en faisant ça, on sait qu’on ne paye pas les artistes. Une prise de conscience de l’opinion publique et de la façon dont on a recouru à tout ça est nécessaire.

Pour terminer, si vous aviez un mot pour définir la situation dans laquelle nous sommes plongés, que serait-il ?

La panade.

¹ Ce type de contrat, très flexible, était initialement prévu pour l’hôtellerie-restauration mais s’est développé dans d’autres secteurs. Le CDD d’usage (CDDU) est la forme la plus souple possible des contrats à durée déterminée (CDD)
² L’année blanche est une mesure qui fait suite aux annonces du président, dans son discours du 06 mai 2020 portant sur la culture. Ce dispositif agit sur les indemnités de l’assurance chômage, et contient deux points : la prolongation des droits des intermittents du spectacle jusqu’au 31 août 2021, ainsi qu’un examen spécifique pour le renouvellement au 01 septembre 2021.

Crédit photo : Le Télégramme

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