ISABELLE TRIHINE, UNE INFIRMIERE FACE AU COVID

Isabelle Trihine est une infirmière dévouée pour les autres depuis 27 ans. A l’hôpital du Scorff, à Lorient, elle est en première ligne face au Covid dans son service de réanimation. En pleine seconde vague…

On entre dans une nouvelle période dramatique pour notre pays. Un deuxième confinement après celui de mars dernier. Celui-ci devrait durer quatre semaines, au minimum… Aujourd’hui, quel est l’état de l’hôpital du Scorff ?

Pour l’instant, la situation est contrôlable et contrôlée, mais ce n’est pas pour cela que nous ne devons pas rester vigilants. Si l’on doit comparer la situation actuelle à la première vague, c’est totalement différent : à Lorient, le Covid avait eu très peu d’impact entre mars et mai, on avait eu cinq cas de la région et dix cas déplacés de la région Parisienne. Notre personnel était suffisant.

Actuellement, nous avons déjà dix cas bretons. On a pris de l’avance en déplaçant des lits supplémentaires en réanimation, car on ne veut pas se retrouver débordé, ou si c’est le cas, le plus tard possible.

Pensez-vous que les lits à disposition seront suffisants dans les semaines à venir ?

Je l’espère… Mais oui, on a déjà dû pousser les murs. En temps normal, nous avons dix lits disponibles en réa. Face à l’augmentation rapide des cas, nous venons de passer à seize lits, et on nous parle déjà de passer à vingt lits dès la semaine prochaine. Mais nous n’aurons pas beaucoup plus de marge, les lits et le matériel de réanimation doivent se trouver dans des endroits bien spécifiques et nos locaux ne seront pas extensibles indéfiniment.

Au niveau du personnel, la situation doit-être extrêmement tendue pour vous ?

Oui c’est tendu. Mais il faut aller au travail, c’est de notre devoir, on ne se pose pas la question. Après oui, il ne faut pas mentir, on est inquiet et certains le sont plus que d’autres, mais au niveau des effectifs, on n’est pas à plaindre si on se compare aux grands hôpitaux parisiens. En moyenne, on est deux infirmières pour huit patients, donc oui, il faut du personnel motivé. Et on sait que c’est le réel problème des jeunes infirmiers, ils sont vite fatigués, n’ont pas forcément envie de faire les efforts pour les autres, et cela pose encore plus de problèmes en période de pandémie.

Certains de vos collègues vous ont fait part de leur peur de se rendre au travail ?

Deux de mes collègues m’ont dit, en mai dernier, qu’ils ne savaient pas s’ils supporteraient une possible seconde vague. Aujourd’hui, on y est. Mais on se doit de tenir. Aujourd’hui on fonctionne avec deux équipes, une de jour et une autre de nuit. Dans mon équipe (celle de nuit), on a une bonne ambiance, on se soutient tous entre nous, et cela nous permet de tenir dans les moments les plus compliqués. L’équipe de jour connait plus de difficultés sur cette appréhension de venir au boulot. Mais je les comprends totalement, on ne sait jamais ce qu’on va trouver en commençant notre journée.

Vous aviez imaginé ce travail de cette façon quand vous l’avez commencé ?

Oui et non. Je savais que m’aventurer en service réanimation ne serait pas la chose la plus facile. Il faut être armé pour faire ce job. Après, je n’avais jamais imaginé vivre une pandémie mondiale et cela change totalement mon boulot. Quand on passe plus de quatre heures en tenue de cosmonaute dans une petite pièce sans pouvoir aller aux toilettes ou juste boire un verre d’eau, c’est difficile. Devoir appeler des familles pour leur annoncer une mort, ce n’est pas simple non plus. Mais on se doit de le faire. Pour autant, des choses ne sont pas acceptables pour moi. Devoir dire à une famille qu’il leur sera impossible de voir leur grand-mère décédée un peu plus tôt, ce n’est pas humain. Certaines décisions prises depuis le Covid sont barbares.

Le plan blanc est activé depuis mercredi dernier dans votre hôpital. Qu’est-ce que cela change concrètement pour vous ?

Cela signifie que je peux travailler à tout moment. Ce soir je peux avoir un appel et être obligée de retourner au travail, ça fait partie de notre travail, on n’a pas le choix. J’ai connu une situation similaire en 2003 après de grosses inondations dans la région, mais au niveau national, c’est une première pour nous. C’est inédit et angoissant ! Mais voilà, on a signé pour ça je crois.

Des choses ont-elles été mises en place entre mars et aujourd’hui pour vous permettre de mieux aborder cette deuxième vague ?

Oui il y a eu du recrutement de personnel. Mais si j’ai bien compris, ça été très compliqué. La réalité est que les jeunes soignants ne veulent plus venir dans les hôpitaux publics, et ce n’est pas nouveau, on observe ça depuis des années. Des profils comme le mien (27 ans de travail en hôpital public), ça ne se verra plus. Aujourd’hui, les jeunes s’en vont vers le privé ou le libéral. Et ils ont raison au vu de l’état de l’hôpital public. Ils ont raison…

Pour vous, l’hôpital public français paye l’absence d’actions des gouvernements précédents ?

C’est certain. Cela fait des années que l’on réduit le nombre de soignants. Les aides-soignants remplacent les infirmiers sur le tas. On le voit bien, notre charge de travail a augmenté depuis des années et on doit savoir tout faire. C’est simple, on nous montre quelque chose, on doit savoir le faire et le reproduire ensuite. Sans formation. Sur le tas, comme ça. Ce n’est pas sérieux. On a donc beaucoup plus de responsabilités mais nos salaires n’augmentent pas.

La question salariale, j’allais y venir. Personnellement, avez-vous touché la prime Covid destinée aux soignants ?  Et vos salaires, qu’en est-il ?

Oui, dans mon service on l’a eue. Mais je suis en colère que certains l’ai touchée et pas d’autres. Je trouve ça terriblement injuste. Comment peux-tu faire des différences entre les soignants ? On a tous été exposés au virus, c’est une réalité. Certes, certains services plus que d’autres, mais ceux qui étaient à peine protégés? Ceux qui n’avaient pas de masque ni de gel hydro alcoolique au début de la pandémie ? Ceux-là n’ont pas forcément eu la prime, et je trouve ça scandaleux. Quitte à avoir moins, on aurait dû tous avoir la même chose. Cette prime nous a été présentée comme l’aumône, finalement, je trouve qu’elle a plus créé un fossé entre nous qu’autre chose…

Après au niveau des salaires, c’est clair qu’on est sous payés. On nous donne toujours plus de responsabilités, mais aucune contrepartie financière n’arrive en retour. On me dit souvent « Oui toi tu bosses de nuit pour gagner plus », et j’en rigole à force. Aujourd’hui, je gagne seulement 90€ de plus par mois qu’une collègue de jour au même échelon. Donc non, je ne le fais pas pour l’argent. Mais ce n’est pas normal qu’on soit aussi peu considérés. On est des pions.

Êtes-vous inquiètes pour les semaines à venir ?

J’essaye de positiver au maximum. Beaucoup disent que l’hiver et l’arrivée de la grippe, combinée au Covid, va être catastrophique pour nous. Je ne le pense pas. Le port du masque va forcément limiter la diffusion des virus, notamment la grippe. Mais il faut absolument que les gens respectent les règles sanitaires si on veut s’en sortir. Je comprends les jeunes qui ont envie de sortie et de vivre leur vie. Mais il faut respecter les gestes barrières au maximum. On est loin d’en avoir terminé avec le Covid. On en a encore jusqu’au printemps prochain, au minimum selon moi. On ne doit pas jouer avec ça. Je ne veux pas me retrouver, dans quelques semaines, à faire le choix d’intuber une grand-mère plutôt qu’une autre.

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