«BLACK LIVES MATTER» ?

En pleine pandémie internationale, les américains manifestent en masse pour un drame qui mobilise l’opinion internationale : le 26 mai dernier, George Floyd, a été tué lors d’une interpellation policière.

Dossier réalisé par Anouck Arzur étudiante rédactrice aux Echos Vannetais en 2018-2019

L’Africain-Américain de 46 ans est soupçonné d’avoir utilisé un faux billet de vingt dollars lors de l’achat d’un paquet de cigarettes. Il en est mort.

Lors de l’interpellation par l’agent de police Derek Chauvin et trois de ses collègues, l’intervention dégénère très vite. Pour preuve, le film amateur tourné par une jeune femme de 17 ans, et depuis largement partagé sur les réseaux sociaux. Elle est sans appel et montre un homme, George Floyd, inquiet, mais ni agressif ni violent, plaqué au sol par un des agents de police, maintenu contre le béton par un genou sur le cou, l’empêchant de respirer. Les minutes s’écoulent et l’homme signale son inconfort et sa douleur, ce qui ne suscite aucune réaction des représentants de la loi, malgré les interpellations des témoins. George Floyd grogne, gémit et supplie pour qu’on le laisse respirer, d’autres témoins interviennent à nouveau expliquant qu’il est inutile de maintenir l’homme ainsi car il ne se débat pas et est coopératif. Le policier Derek Chauvin continue d’ignorer les citoyens qui l’entourent, et ne réagit pas quand ces témoins lui demandent de vérifier son pouls, car Floyd n’est plus conscient. Huit minutes se sont alors écoulées, et George Floyd décède, entouré de témoins impuissants et de policier impassibles.

Les États-Unis s’embrasent alors, portés par une colère et une douleur partagée par les citoyens fatigués des violences policières. Depuis le 26 mai, diverses manifestations ont eu lieu à travers le pays. « Black Lives Matter » « Justice For George Floyd », « No Justice, no Peace » sont clamés dans les rues, exigeant justice pour George Floyd, mais également pour toutes les autres victimes de violences policières. En effet, il est fréquent que la communauté noire soit régulièrement ciblée par la police. En 2019, 1099 personnes sont décédées suite à des actes de violence policière, d’après le site « Mapping  Police Violence ». Le site explique avec précision que les personnes noires ont trois fois plus de risques que les américains blancs d’être tuées par la police, et qu’entre 2013 et 2019, 99% des meurtres perpétrés par les forces de l’ordre n’ont pas engendré de poursuites pénales envers les policiers concernés.

Une manifestante arrêtée lors d’une manifestation le 30 mai New York, photo de Mark Clennon

 

Des Émeutes dans tout le pays

Les manifestations de ces derniers jours se sont vites transformées en émeutes. Cependant la situation se révèle plus compliquée qu’il n’y paraît.

D’un côté, des images et vidéos de manifestants agressifs envers la police, de pillages de magasin, le commissariat de Minneapolis en flammes, toutes relayées par les médias américains.

De l’autre, les réseaux sociaux, Facebook, Twitter, et Instagram, sont utilisés par les manifestants, en partageant des vidéos, photos, exposant le comportement abusif, violent et non justifié d’agents de police, aux badges d’identification parfois masqués. Des citoyens sont violemment poussés au sol, d’autres aspergés de gaz au poivre sans raison, ou d’autres heurtés volontairement par des voitures de police, des journaliste sont visés de balles en caoutchouc, ou reçoivent des gaz lacrymogènes en plein direct.

Les vidéos restent généralement courtes, difficiles à comprendre de par les cris et la foule, et les mouvements parfois confus des caméras. Mais malgré cela, l’usage de la violence par ces policiers est tout à fait discernable. Rappelons-le, le rôle d’un policier est d’assurer l’ordre public et la sécurité des citoyens. Agir proportionnellement face aux réactions des individus, empêcher les situations de dégénérer, et minimiser les dégâts sont les facteurs essentiels au bon déroulement d’une manifestation. Il est très clair dans les vidéos partagées que ces conditions ne sont pas systématiquement respectées.

Et en France ?

Tout cela nous semble lointain, cependant, les violences policières ne se limitent pas aux États-Unis. Nous nous rappelons de l’affaire toujours en cours d’Adama Traoré en 2016, où le jeune homme de 24 ans est étouffé par les agents de police. Une marche a par ailleurs eu lieu le 02 juin dernier à Paris, regroupant près de 40 000 personnes d’après les organisateurs.

L’affaire Théo également, en 2017, où le jeune Théo Luhaka, âgé de 22 ans est agressé sexuellement par quatre policiers lors d’un contrôle d’identité. En décembre dernier, un policier noir découvre un groupe Whatsapp où se regroupent certains de ses collègues, qui tiennent des propos entres-autre racistes. Et plus récemment, le 28 mai dernier, le jeune Amara Touré est violemment immobilisé par un agent de police, utilisant la même technique qui a tué l’américain George Floyd, c’est-à-dire, mettre tout son poids sur le cou de l’interpellé. Des vidéos partagées sur Twitter montrent que le jeune homme était déjà menotté et incapable de résister ou de mettre en danger l’agent de police.

Marche pour Adama Traoré du 2 juin à Paris, photo de Pierre Suu

D’autres cas sont régulièrement dénoncés sur les réseaux sociaux, textes parfois accompagnés de vidéos. Des arrestations inutilement brutales, des insultes, moqueries, provocations sont perpétrées par la police, couramment en France. Les policiers concernés sont défendus, avec généralement les arguments qu’ils ne font que leur travail, que l’interpellation était nécessaire, et qu’il est probable que les victimes mentent, ou voient du racisme où il n’y en a pas.

La question est : n’est-ce pas nous, qui ne voyons pas le racisme où il y en a ? Aux yeux d’une grande partie des français blancs, le racisme n’existe plus en France, mais d’après la majorité des concernés, il est bel et bien présent, et particulièrement violent et incisif. Ne serait-il pas logique d’écouter les personnes concernées ?

Il est aujourd’hui particulièrement facile de s’éduquer sur le sujet. Internet est une source infinie de connaissances, permettant à divers auteurs ou journalistes de s’exprimer, à travers vidéos, tweets, publications Facebook, PodCasts, articles, et cetera. La majorité des médias classiques sont occupés en grande partie par des personnes blanches, qui le plus souvent ont conscience de la situation, mais  pas dans son entièreté, car ils ne la vivent pas. Donner davantage la parole aux personnes concernées permettrait une meilleure prise de conscience de cette problématique.

 Filmer pour témoigner

« Filmer sauve des vies » est une devise très utilisée ces temps-ci, en France ou ailleurs. Filmer la police lors d’interpellations brutales, ou sur le point de l’être, est capital : la vidéo sert de preuve contre les policiers abusifs, et peut décourager ces derniers de continuer leur brutalité face aux caméras.

«Un policier ne peut pas s’opposer à l’enregistrement d’images ou de sons », qu’il s’agisse de particuliers ou de journalistes, précise une circulaire de 2008. La police ne peut non plus s’opposer à la diffusion de ces documents.

Filmer ce type d’interpellation est donc un droit, que le député Eric Ciotti cherche à retirer, ayant déposé ce mardi 26 mai une proposition de loi visant à interdire la diffusion d’images de fonctionnaires de police où ils seraient identifiables, sous peine d’une amende de 15 000€ et d’un an d’emprisonnement. Cette loi est proposée dans le but de lutter contre le «policier bashing». Tenir pour responsable et exposer les agents de police pour leur comportement violent sera donc illégal, mettant en danger toute les victimes potentielles de violences policières.

Cette tribune publiée par Libération explique davantage la nécessité de pouvoir filmer et enregistrer la police, et cette pétition lutte contre cette loi.

Des policiers solidaires

Ces discriminations existent mais ne sont  pas une généralité. La police est également une victime collatérale de ces drames puisque le danger d’un amalgame et d’une violence anti-police est à éviter.

Il est d’ailleurs à noter qu’aux États-Unis comme en Angleterre, lors des marches organisées en hommage à George Floyd et aux autres victimes, des groupes de policiers se joignent aux manifestants et s’agenouillent à leurs côtés.

 Le 1er juin dans l’état du Michigan, le Sheriff Chris Swanson retire son casque et sa matraque et s’adresse aux manifestants, entouré de ses collègues, et insiste sur le fait que lui-même et son équipe sont du côté des protestataires, et souhaite que tout se déroule pour le mieux. Le moment est filmé, et sous les encouragements de la foule, le Sheriff les rejoints pour manifester.

Des villes États-uniennes suivent aussi  le mouvement en interdisant la pratique d’étranglement aux policiers. Le 8 juin, le ministre de l’intérieur Christophe Castaner annonce que cette technique sera également abandonnée ne sera plus enseignée dans les écoles de police et de gendarmerie.

Cette période actuelle est un tournant décisif pour le mouvement Black Lives Matter et la dénonciation des violences policières: de nombreuses manifestations se forment à travers le monde, notamment en Angleterre, Allemagne, Italie, Canada, mais aussi Nouvelle-Zélande, et Japon. Des marches sont également organisées et prévues un peu partout en France.

Des milliers de photos, vidéos, informations, et documents éducatifs circulent, tout comme des pétitions, comme celle exigeant que justice soit faite pour George Floyd, qui, à ce jour, réunis dix-sept millions de signatures. Les personnalités n’hésitent pas à partager ces documents et à contribuer aux dons, qu’il s’agisse d’acteurs, de journalistes, de collectifs, d’associations, ou encore d’influenceurs. De plus, des entreprises, comme les marques Ben and Jerry’s ou Adidas, ou des compagnies comme Netflix et Square Enix apportent leur soutien en partageant des communiqués sur le sujet, ou en effectuant des dons.

Une prise de conscience s’élève donc peu à peu : les discussions et les débats s’ouvrent davantage, soulignant cette problématique sensible, qui déclenche la mise en lumière de ce sujet qui ne devrait plus être d’actualité.

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