HÔPITAUX : LA SONNETTE D’ALARME

Avec 226 000 médecins en activité au 1er janvier 2018, soit 10 000 de plus qu’en 2012, la France n’a jamais compté autant de praticiens actifs. Un constat qui sonne comme un paradoxe lorsque l’on sait que de nombreux Français rencontrent des difficultés à prendre rendez-vous avec un médecin, notamment chez certains spécialistes. Les hôpitaux sont trop souvent surpeuplés et il faut parfois plus d’une journée pour être reçu aux Urgences.

Le corps médical souffre de manque de temps, d’effectif, d’écoute… Pour autant, notre système de santé reste l’un des plus fiables au monde. Alors que les services d’Urgence manifestent, partout en France, pour de meilleures conditions de travail, nous avons réalisé une enquête à Vannes.

Efficacité et rigueur sont, bien évidemment, au cœur des métiers médicaux, pour autant, l’aspect relationnel et le sens de l’écoute sont également fondamentaux. « Ce que j’aime le plus dans mon métier, c’est le lien avec les patients, l’humain, mais depuis vingt ans, les conditions se sont détériorées » confie Julie Gontier, infirmière de Bloc à l’hôpital de Vannes. « J’ai notamment observé un changement depuis deux ans, j’ai moins de temps pour échanger avec les patients. L’informatisation, la charge administrative étant devenues de plus en plus importantes, le lien en est affecté. » Une traçabilité de chaque geste devenue une obligation pour les infirmiers – ères depuis quelques années, le dossier de soin étant l’outil indispensable.

Dans une enquête menée par Odoxa*, le personnel hospitalier se plaint des journées à rallonge et de l’accumulation de ces tâches administratives qui les éloignent des patients et de leurs familles. En effet, un médecin sur deux, ainsi que 70% des personnels hospitaliers jugent qu’ils n’ont rarement, voire jamais le temps d’échanger avec les malades et plus de la moitié d’entre eux sont préoccupés par la peur de faire des erreurs par manque de temps.

Eloïse, qui a exercé un an en qualité d’aide-soignante, termine ses études d’infirmière. « Nous subissons une pression grandissante, j’ai été témoin de nombreuses situations difficiles, notamment avec les personnes âgées qui ont besoin de soins particuliers. Il n’est pas décent de les laisser dans des situations inconfortables durant une longue période, notamment celles liées à l’hygiène. » Karine Bellec, cadre à l’hôpital de Vannes, confirme « Nous courrons constamment après le temps ». La Coordination Nationale Infirmière (CNI) dénonce depuis de longs mois les problèmes de cadences effrénées. Les infirmiers et aides-soignants travaillent en moyenne 39 heures par semaine et ont le sentiment que leur charge de travail s’est intensifiée au fil des années.

Ce constat d’impuissance est partagé par Pierre le Coz, interne en chirurgie orthopédique « trente minutes, montre en main pour voir tous les patients le matin, on doit se dépêcher tout le temps, on les brusque pour les réveiller, on se dépêche sans arrêt car l’heure tourne »,  le temps de consultation est réduit, « nous n’avons pas le temps de leur jeter un regard ou de bien leur expliquer les choses. Nous ressentons de la frustration et ils ne comprennent pas toujours la situation. »

Une santé protégée

Pour autant, La France reste un pays référent en ce qui concerne la protection sociale. « Nous avons un système performant, on ne se rend pas toujours compte de la chance que nous avons. » souligne Karine Bellec.

Trop souvent, recevoir des soins est un luxe. Aux Etats-Unis notamment, une consultation chez le médecin généraliste coûte en moyenne 80€, et une journée de prise en charge en hôpital environ 4200€.

Une réalité qui doit éveiller les consciences. Il s’agit de garantir un système de protection sociale qui ne rime pas avec la souffrance du corps médical. Ce secteur est en crise, c’est un fait indéniable. Les emplois du temps parfois trop serrés, les nuits souvent trop longues pèsent sur le moral et la santé.

Sans compter les urgences qui ne peuvent être ignorées. Il est inimaginable de laisser un patient en situation critique sans surveillance, sous prétexte que le personnel a terminé sa journée. « J’aime mon métier mais il est parfois difficile de tenir physiquement, souvent je commence à 7h30, pour terminer à 20h30″ confie Pierre. Les journées interminables, auxquelles s’ajoutent les journées de garde, peuvent comprendre des sessions de 24h. « Lorsque je travaillais en maison de retraite, je faisais des remplacements d’aides-soignantes, car certaines étaient victimes de burnouts ou tombaient de fatigue. » précise Eloïse.

Du côté des salaires, le constat est souvent amer. « Le salaire des infirmières ne correspond pas au travail effectué. Les journées des infirmiers sont surchargées, et cela n’est pas du tout valorisé » explique Eloïse.

“Le taux horaire est faible”, ajoute Pierre, « 200 euros pour 24 heures de garde, c’est insuffisant. Et il y a peu de personnes qui accepteraient d’effectuer ce que nous faisons. »

Pour autant, les métiers sont exigeants, d’un point de vue technique mais également humain. Une bonne maîtrise du stress et de ses émotions est indispensable. Pour Eloise « La pression peut être trop grande. Il ne faut pas être en période de solitude ou de tristesse en s’engageant dans ce métier, sinon on ne résiste pas. Nous sommes confrontés à beaucoup de souffrances, il faut être endurcis et ne pas avoir peur de la mort ».

Afin de répondre à ces conditions de travail parfois compliquées, le président Emmanuel Macron a annoncé en 2018 le plan du projet “Ma santé 2022” qui devrait permettre de désengorger les hôpitaux, améliorer l’accès et soulager les médecins.

Anouck Arzur et Eve Oger

Odoxa : études d’opinion, de santé publique et de climat social.
Ma santé 2022 : Dossier de Presse Ma santé 2022 : un engagement collectif, Ministère des Solidarités et de la Santé.
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