Éducation sexuelle à l’école : dérapages de la sensibilisation ?

À la rentrée 2025, le ministère de l’Éducation nationale introduira dans tous les établissements scolaires un nouveau programme : l’Éducation à la Vie Affective, Relationnelle et Sexuelles (EVARS). Entre parents d’élèves, enseignant et élèves eux-mêmes, le sujet fait débat.

Loin de cette époque, assis sur les bancs de l’école, les pieds ne touchant même pas le sol rougeâtre de la salle de classe. Fixant le tableau noir, illuminé par les craies multicolores du professeur, nous tentions de retenir notre leçon d’histoire, de mathématiques ou de français. On dessinait, on récitait des poésies, faisions du théâtre. A l’évidence on nous parlait du respect de l’autre, de la politesse, de la bienveillance. Mais jamais, à cette époque, le mot « sexualité » ne franchissait la porte de la salle. Jamais, en CM1, nous ne parlions de genre, de relations sexuelles ou de plaisir.

Il fallait attendre le collège, le fameux chapitre de SVT en classe de quatrième sur la reproduction humaine. Quelques mots sur les moyens de contraception, quelques images schématiques, souvent accompagnées de regards gênés et de rires étouffés.

À la rentrée 2025, le ministère de l’Éducation nationale introduira dans tous les établissements scolaires un nouveau programme : l’Éducation à la Vie Affective, Relationnelle et Sexuelle (EVARS). Son ambition ? Combler les lacunes de l’enseignement traditionnel, répondre à des enjeux de société contemporains : harcèlement sexuel, diffusion massive de la pornographie, stéréotypes de genre, violences sexuelles. Trois séances annuelles, obligatoires, de la maternelle au lycée.

Mais cette réforme, aussi progressiste soit-elle dans ses intentions, ne fait pas l’unanimité. Elle révèle une ligne de fracture entre les défenseurs d’une école refuge et les partisans d’une école-miroir du monde réel.

Marie, 35 ans, institutrice en CM1 accueille ce programme avec sérénité. Pour elle, l’école a un rôle à jouer. « À mon niveau, cela reste très basique. On parle du corps humain, de la puberté, des émotions, du respect de l’autre… Ce sont des éléments de prévention et de construction personnelle. »

Elle insiste sur l’importance de l’encadrement : « Il y a un cadre officiel, mais il reste souple. On travaille souvent avec l’infirmière scolaire ou des associations agréées. Les contenus sont adaptés à l’âge. On ne parle pas de sexualité à proprement parler et surtout pas de pratiques. »

Consciente des inquiétudes de certains parents, elle appelle au dialogue : « L’important, c’est la transparence. J’ai déjà eu des parents qui voulaient tout savoir. Une fois que je leur expliquais calmement ce qu’on allait dire, ils étaient rassurés. »

Les propos de Marie apaisent, l’école redevient ce lieu de lien, d’accompagnement. Une école qui éclaire, petits et grands.

Mais toutes les familles ne partagent pas cet enthousiasme. Sophie, 39 ans, mère de trois enfants et membre du collectif « Parents Vigilants », exprime des craintes profondes. « Je ne suis pas contre le fait de parler de respect ou de puberté. Mais certaines choses, comme la masturbation ou les identités de genre abordées dès le primaire, me choquent. Ce n’est pas le rôle de l’école. »

Pour elle, l’école outrepasse parfois ses missions : « Ce n’est plus de l’information, c’est une idéologie imposée. On propose une vision des choses qui peut être très éloignée des valeurs familiales. »

Elle réclame plus de transparence et le droit pour les parents de retirer leurs enfants de ces séances : Sophie incarne cette inquiétude répandue, ce qui amène à la pétition lancée par SOS éducation à l’attention d’Élisabeth Borne et François Bayrou qui porte comme slogan : “À l’école enseignez-moi les divisions pas l’éjaculation !” Elle compte déjà plus de 180 000 signatures.

Ce genre d’action est essentielle selon la mère de famille pour éviter des cas comme celui à l’école des Ovides en janvier 2023 à Saint-Étienne, lorsqu’une infirmière scolaire aurait abordé des sujets tels que la fellation, la sodomie et le changement de sexe, en réponse à des questions posées par les élèves eux-mêmes lors d’une intervention en classe de CM2, selon des témoignages de parents. Le rectorat a d’ailleurs reconnu « une erreur d’appréciation ».

Marie, quant à elle, appelle à la nuance et rappelle que ce genre de dérives ne sont qu’une “toute petite minorité, mais évidemment, elles n’ont pas leurs places ici.”

Quid des élèves ? À 17 ans, Maxime est lycéen. Il a vécu l’application expérimentale du programme EVARS dans son établissement.

« Au début, c’était un peu scolaire. De la bio, des schémas, des méthodes de contraception. Intéressant, mais froid. »

Mais cette année, un changement : « Une intervenante extérieure nous a parlé de relations toxiques, de stéréotypes, de consentement. Là, j’ai vraiment écouté. Elle nous parlait comme à des gens capables de comprendre. »

Maxime voit en l’école un espace de parole, à condition que celui-ci soit sincère et respectueux : « Ce n’est pas toujours facile d’en parler avec ses parents. L’école peut le faire, mais il ne faut pas que ça devienne militant. Juste nous donner les clés. »

Sa lucidité touche juste : l’éducation sexuelle ne peut être imposée comme une vérité universelle. Elle doit accompagner et non diriger. Pourquoi ? Car apprendre la sexualité dans le cadre uniquement scolaire, à l’instar des mathématiques sous-entendrait qu’il n’y est qu’une façon de “faire l’amour”. Une manière linéaire presque conventionnel. Dans ce contexte l’école à son rôle à jouer certes mais dans certaines mesures.

Comme le résume l’institutrice : « Ce n’est ni à l’école seule, ni aux familles seules. C’est un travail commun.”

Alors peut-être que demain, sur les bancs d’une salle de classe au sol rougeâtre, entre une leçon de poésie et un exercice de géométrie, un enfant comprendra que son corps lui appartient, que son “non” vaut toujours, que le respect n’a pas d’âge. Là se trouve, peut-être, la véritable mission de l’école.

Entre transparence, bienveillance et vigilance, cette dernière cherche encore sa place. Le programme EVARS n’est ni une panacée, ni une menace. Il est une tentative de réponse à un silence d’hier, face aux cris d’aujourd’hui.

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