Bernard Legrand, ancien combattant du conflit franco-marocain et président départemental de la FNACA, incarne la mémoire de ceux ayant servi en Afrique du Nord. Par son engagement, il apporte un soutien constant aux anciens combattants et à leurs familles, tout en luttant pour la reconnaissance de ces conflits, un enjeu essentiel pour la FNACA. À l’heure où la population des adhérents vieillit, cette mission devient de plus en plus cruciale…
Comment avez-vous vécu votre intégration dans le conflit d’Afrique du Nord en tant que jeune homme, notamment lors de votre arrivée au Maroc ?
J’ai vécu mon intégration dans le conflit d’Afrique du Nord, et notamment mon arrivée au Maroc, comme une expérience très éprouvante. Le voyage a été particulièrement difficile, avec des conditions de transport très rudimentaires. Je me souviens : « Ils nous ont envoyés là-bas sur des bateaux qui servaient au transport des moutons. ». Ces navires, conçus pour le bétail, nous ont transportés, nous les jeunes soldats appelés du contingent, dans des conditions précaires pendant 72 heures en mer. Une fois arrivés à Casablanca, ce n’était pas terminé : « Après, il fallait encore rejoindre Meknès au Maroc, ce qui a duré en tout 15 jours, et cela avec les mêmes vêtements ! ».
En quoi votre expérience personnelle de militant pour la paix a-t-elle influencé votre engagement dans la FNACA ?
Mon expérience personnelle de militant pour la paix a joué un rôle déterminant dans mon engagement au sein de la FNACA. Ce que j’ai vécu au Maroc m’a marqué à jamais et m’a poussé à devenir militant. À mon retour en France, j’ai rejoint des mouvements et participé à des manifestations pour l’arrêt des conflits, comme la manifestation du métro Charonne à Paris. J’ai été témoin de scènes terribles pendant le conflit, et la douleur psychologique qui en a découlé a profondément influencé mon engagement et ma vision des choses. C’est une vision façonnée par des événements difficiles, vécus à un âge très jeune. La violence de ces situations m’a conduit à m’interroger sur le sens du conflit et sur les conséquences humaines de la guerre. Ces réflexions m’ont amené à m’investir pleinement dans la préservation de la mémoire, le soutien aux anciens combattants et la promotion de la paix. À mon retour, j’ai ressenti un besoin urgent d’agir, faisant s’insurger mes racines syndicalistes.
Pourquoi pensez-vous que la France a tardé à reconnaître pleinement la mémoire des conflits d’Afrique du Nord, et comment cela impacte-t-il les jeunes générations ?
« D’abord, au départ, on ne parlait pas. On ne parlait pas parce qu’on n’osait pas dire la vérité. » La reconnaissance des conflits d’Afrique du Nord en France a pris énormément de temps, en grande partie à cause de ce silence imposé à l’époque. Ce silence pesant entourait les atrocités qui avaient été commises. Nous craignions de raviver des blessures trop profondes, ce qui nous incitait, anciens combattants, à garder pour nous les horreurs que nous avions vécues. Les archives étaient soigneusement filtrées, et les témoignages les plus accablants étaient étouffés. Cette volonté d’occulter la vérité a entraîné des conséquences lourdes : elle a retardé la reconnaissance des souffrances des anciens combattants et empêché une réelle guérison de ceux qui avaient traversé ces épreuves. L’absence de dialogue ouvert a aussi créé un vide de transmission. Sans espace pour exprimer nos souffrances, nous n’avons pas pu transmettre cette partie de notre histoire aux jeunes générations. Ce silence a non seulement entravé ce processus de réconciliation, mais il a également privé les plus jeunes d’un héritage commun important, celui des leçons tirées de ce passé douloureux.
Pourquoi la FNACA* a-t-elle été perçue comme la seule association capable de répondre aux besoins spécifiques des anciens combattants d’Afrique du Nord ?
Cette approche m’a convaincu et m’a rassemblé, tout comme de nombreux autres anciens soldats. « J’ai regardé les statuts des différentes associations, et la seule qui me convenait, c’était la FNACA. » Pendant longtemps, j’ai ressenti, comme beaucoup d’autres, un grand sentiment de négligence. Les anciens soldats, en particulier les appelés du contingent, ont souvent eu beaucoup de mal à réintégrer la vie civile. Nous manquions de dispositifs d’accompagnement adéquats, et nos conflits ainsi que nos témoignages n’étaient pas véritablement reconnus. La FNACA est née de cet engagement : défendre nos droits, lutter pour la reconnaissance particulière des conflits d’Afrique du Nord et obtenir des avancées concrètes, comme la carte du combattant. C’est cette mission qui m’a motivé à m’y investir pleinement.
* La FNACA est une organisation dédiée à la défense des droits des anciens appelés du contingent ayant servi en Afrique du Nord. Contrairement à d’autres associations généralistes comme l’Union Nationale des Combattants, elle se concentre spécifiquement sur la reconnaissance des conflits d’Afrique du Nord. (ndlr)
Pourquoi les anciens combattants d’Afrique du Nord ont-ils eu du mal à obtenir la reconnaissance de leur statut de « vrais combattants » ?
La dure réalité que nous, anciens combattants d’Afrique du Nord, avons dû affronter a été la stigmatisation de notre engagement, ainsi que des conflits dans lesquels nous avons servi. Beaucoup de nos pairs soldats associaient souvent notre présence au Maghreb à des vacances, allant jusqu’à qualifier notre expérience de « Club Med’ ». Cette stigmatisation sociale a profondément impacté le regard que les autres portaient sur nous, et même le traitement réservé par les associations d’anciens combattants. Elles allaient jusqu’à ne pas nous accorder d’aide pour obtenir la carte du combattant, qui, à l’époque, avait un statut « honorifique ». « Ils avaient besoin d’être soutenus. » La FNACA a pris position contre cette marginalisation en mettant en lumière nos récits et en revendiquant notre légitimité en tant que “véritables combattants”. L’association a également milité pour que la carte du combattant nous donne enfin accès à des droits concrets et à une reconnaissance authentique de notre engagement.
Pourquoi la reconnaissance des anciens combattants d’Afrique du Nord a-t-elle pris autant de temps, et quelles mesures spécifiques avez-vous obtenues pour améliorer leur statut ?
Nous avons dû mener un long et difficile combat pour obtenir la reconnaissance et les droits qui nous étaient dus. L’une des avancées les plus significatives, après des années de lutte, a été l’introduction de la « demi-part fiscale » pour les anciens combattants ainsi que leurs veuves. Il est important de souligner la situation des veuves, qui, sans la carte du combattant de leur mari, étaient privées de tout droit.
Comment interprétez-vous le fait que certains gouvernements aient ignoré les combattants d’Afrique du Nord dans les discours officiels ?
Tandis que d’autres conflits étaient célébrés dans les discours officiels, l’oubli des anciens combattants d’Afrique du Nord a suscité en moi un sentiment d’injustice profonde, nourrissant un ressentiment intense. Ce sentiment a été exacerbé par un hommage rendu par deux ministres aux grandes guerres mondiales, « gâché » par l’absence de mention des anciens combattants d’Afrique du Nord et des OPEX, ce qui a provoqué une vive colère parmi les membres présents. Je me souviens de cet incident, « Un mois plus tard, message du ministre de la Défense et du ministre des Anciens Combattants. Ils ont rendu hommage aux… 14, 18… 39, 45. Ceux de la Résistance, ce qui est normal. […] Et on a oublié qui ? L’Afrique du Nord. »
Comment la FNACA a-t-elle joué un rôle central dans l’obtention de la carte du combattant pour les anciens combattants d’Afrique du Nord, et pourquoi cette carte était-elle d’abord considérée comme honorifique ?
Initialement, la carte du combattant pour les anciens d’Afrique du Nord était une distinction honorifique qui ne conférait que peu de droits concrets. Face à cette situation insatisfaisante, la FNACA a mené un combat acharné pour que cette carte devienne un véritable outil de reconnaissance et de soutien. Grâce à ce combat, elle a permis aux anciens combattants d’obtenir des avantages réels, tels que des réductions fiscales, des prestations sociales et une reconnaissance officielle de leur statut. Ce combat pour changer le statut de la carte du combattant reflète notre engagement et nos sacrifices, en nous offrant des droits à la hauteur de ce que nous avons vécu.