Anne-Laure Giquello : enseignant, un métier en plein changement

Madame Giquello, 42 ans, est professeur des écoles à l’école Notre-Dame du Vœu, à Hennebont. En seize ans, elle a pu constater l’évolution des enseignements mais également des relations parents/profs. 

Vous enseignez les fondamentaux en CP/CE1, avez-vous constaté des changements dans les classes ?  

Oui, évidemment, mais le plus grand changement sont les écrans, qui selon moi sont désastreux pour les enfants, ils parlent moins bien. Si vous cherchez un métier d’avenir, faites orthophoniste. Les enfants bougent beaucoup, il faut vite changer d’activité, encore plus qu’avant, il faut vraiment que les choses soient ludiques. On sait qu’un enfant a vingt minutes de concentration grand max, c’est encore moins maintenant, les écrans c’est “ça ne me plait pas je zappe”, parce que malheureusement ils y sont très tôt. Ils ont accès à trop de choses, certains élèves de sept, huit ans, jouent à Fortnite et ont accès au téléphone des parents. Un papa m’a déjà dit d’enlever un message à propos du père Noël parce que sa fille l’avait vu ! J’ai eu dès l’année dernière des élèves qui « textotaient » avec le portable des parents, donc ils ont quand même accès libre, ce n’est pas le leur mais c’est tout comme. 

Quel a été le plus grand défi de votre carrière ? 

J’ai failli tout plaquer à la suite d’une agression d’un parent. Cet incident a été tellement déstabilisant que j’ai failli tout arrêter. Pendant plusieurs mois, j’ai dû prendre du recul pour me remettre en question, retrouver confiance en moi et décider si je souhaitais continuer dans ce métier. De nos jours, les parents sont beaucoup plus impliqués qu’avant, parfois trop. Certains cherchent à remettre en question nos décisions sans comprendre le contexte, cela rend notre travail relationnel plus complexe. De nombreux collègues pensent à une reconversion, ils n’en peuvent plus. De manière plus générale, le métier d’enseignant exige une remise en question permanente. Les élèves évoluent, les attentes changent, et il faut s’adapter. Intégrer des approches pédagogiques nouvelles où les élèves avancent à leur rythme, ça été un défi pour moi, car je suis quelqu’un qui aime que les choses soient bien cadrées. Cela m’a vraiment demandé de sortir de ma zone de confort.  

La nouvelle ministre de l’Éducation Élisabeth Borne a déclaré vouloir raccourcir les grandes vacances, qu’en pensez-vous ?  

Cela ne me dérangerait pas de raccourcir les grandes vacances, mais cela nécessiterait une réorganisation complète de notre système scolaire. On pourrait par exemple envisager des après-midis dédiés à des activités sportives, culturelles ou artistiques, encadrés par des professionnels extérieurs. Ce n’est pas quelque chose que je me sentirais capable de faire en tant qu’enseignante, mais cela pourrait apporter un équilibre bénéfique aux élèves. Les grandes vacances telles qu’elles existent actuellement, sont aussi un moment essentiel pour les enseignants. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, on n’a pas deux mois de vacances. Pour la plupart nous sommes encore là en juillet pour préparer l’année suivante. Donc si les vacances sont raccourcies, il faut s’assurer d’avoir tout préparer correctement.  

Comment percevez-vous la récente déclaration d’Élisabeth Borne “je ne pense pas qu’on attende d’un ministre qu’il soit expert dans son domaine ?” 

Je comprends qu’un ministre ne puisse pas être expert dans tous les domaines, mais je ne pense pas qu’il puisse prendre des décisions sans avoir mis les pieds dans une classe. Je ne suis pas certaine qu’un enseignant normalement constitué ait envie d’être ministre, mais ce serait pertinent. Tant qu’un adulte n’a pas passé du temps dans une école, il ne se rend pas compte. Il y a des choses vraiment illogiques, comme les évaluations nationales ou les changements dans les rythmes scolaires par exemple. On devrait travailler par cycle et non par âge. Chaque enfant avance à son rythme, et vouloir tout cloisonner en fonction des années ne reflète pas la réalité. Il faudrait aussi donner plus de liberté pédagogique aux enseignants pour qu’ils puissent s’adapter aux besoins de leurs élèves. Quelqu’un qui n’est pas expert, d’accord, mais il faut passer un peu de temps dans une école et puis pas une école d’un bon arrondissement de Paris.  

Comment envisagez-vous le métier de professeur des écoles dans les prochaines années ? 

Je le conseille de moins en moins. Les enfants deviennent plus durs, et les parents nous font de moins en moins confiance. Cela demande énormément d’énergie, et je me demande comment nous pourrons tenir jusqu’à la retraite dans ces conditions. On se sent maltraités, on n’a aucune reconnaissance. On en a malheureusement de moins en moins de notre public direct et là-haut ils nous prennent pour des pions. À une époque, les profs étaient tout, on n’est plus rien. Je ne demande pas de meilleur traitement qu’une autre profession, mais nos supérieurs se fichent de nous, on ne se sent pas pris au sérieux. Il y a encore de belles années, mais elles deviennent plus rares. 

 

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