Tiktok, le procès qui pourrait tout changer
Accusé de nuire à la santé mentale des jeunes, Tiktok fait face à une plainte de sept familles dénonçant son manque de régulation. Entre contenus néfastes et incitations dangereuses, la plateforme est pointée du doigt pour son rôle dans les dérives numériques actuelles. Si cet espace de créativité séduit des millions d’utilisateurs, il illustre aussi les limites et les dérives d’Internet. Alors, à qui revient la responsabilité de protéger les jeunes ?
Victimes de harcèlement scolaire, Marie et Charlize, quinze ans toutes deux, ont commis l’irréparable en mettant fin à leurs jours. Mais en quoi Tiktok est-il responsable de ces drames ?
Réfugiées sur le réseau afin de trouver une échappatoire à l’enfer du harcèlement scolaire, elles se sont trouvées piégées par un système pervers et infernal. En effet, effectuant des recherches liées à leur mal-être, l’algorithme leur a alors proposé d’autres contenus du même style, sur la dépression, les scarifications, les troubles alimentaires, la procuration de médicaments en pharmacie et sur la meilleure manière de se… Suicider.
Et l’irréparable… L’année dernière, Charlize est retrouvée pendue dans sa chambre. Le lendemain de sa mort, ses parents ont trouvé une vidéo qu’elle avait repostée : « La nuit porte conseil, moi elle m’a conseillée de prendre un tabouret, une corde ». Ils découvrent alors des centaines de vidéos similaires. En 2021, la mort de Marie, elle aussi retrouvée pendue dans sa chambre à Cassis, donne suite à une plainte de ses parents en septembre 2023 contre Tiktok pour « provocation au suicide », « non-assistance à personne en péril » et « propagande ou publicité des moyens de se donner la mort ». C’est une première en France. Mais elles ne sont pas les seules victimes. Maëlle, elle, a tenté de mettre fin à ses jours plusieurs fois, comme trois autres victimes tandis qu’une autre a gravement plongé dans l’anorexie.
Jurisprudence ?
Alors le 4 novembre 2024, Tiktok est assigné au tribunal civil de Créteil par sept familles françaises pour la première fois en Europe. Réunies au sein du collectif « Algos Victima », elles accusent la plateforme d’exposer leurs enfants à du contenu dangereux ou pouvant les mettre en danger, de négligence et de « dégradation de l’état de santé mentale et physique de leurs enfants ». Laure Boutron-Marmion, fondatrice de l’organisation et avocate pénaliste spécialisée dans la défense des mineurs, représente les familles. Elle dénonce l’attitude du réseau social en y engageant sa responsabilité : « Tiktok est à la manœuvre de l’algorithme ». Selon elle, l’application ne fait qu’aggraver les problèmes dont les adolescents sont victimes en leur proposant des contenus mortifères. Si un utilisateur interagit avec du contenu lié à un sujet, tel que la dépression, l’algorithme en déduit qu’il est intéressé par ce type de contenu. Il y est alors exposé davantage. Malgré les régulations que la plateforme tente de mettre en place, la rapidité de diffusion du contenu rend difficile une modération efficace.
Mais la procédure engagée par les familles, bien que légitime, va probablement être longue et complexe puisqu’elles doivent prouver que sans la plateforme, les deux jeunes filles ne seraient pas allées au bout de leurs gestes. Selon l’avocate : « Notre recours abonde de pièces et de preuves tangibles pour chacune des histoires de ces sept familles ».
Plus généralement, les problèmes liés à la régulation des réseaux sociaux comme Tiktok illustrent un enjeu bien plus vaste : l’équilibre entre la liberté d’expression, la responsabilité des plateformes et la protection des utilisateurs, déjà fragilisés par la pression des réseaux sociaux. Bien qu’emblème de la créativité numérique, le réseau est aussi devenu un terrain fertile pour des contenus nuisibles, souvent mal encadrés par ses créateurs. Alors, à défaut d’une autorégulation efficace, la multiplication des initiatives juridiques pourrait marquer le début d’un encadrement plus strict à l’échelle internationale. Reste à voir si ces démarches suffiront à responsabiliser un géant qui façonne autant qu’il reflète les dérives de notre époque.