Tristan, 34 ans, moustache aiguisée, bretelles et look rétro, est peintre en lettres. Il remet sur le devant de la scène ce métier oublié. Ce Bellilois passionné me reçoit un matin d’octobre dans son atelier si chaleureux.
Pourtant au départ il n’était pas prédestiné. Licence de droit immobilier en poche, il débarque à Grand-Champ par hasard, et postule au culot à la commune « je suis allé à la mairie en leur disant qu’ils manquaient de créativité ! » Pari réussi, il est rapidement chargé de développer tout ce qui touche aux liens sociaux et à la culture, notamment La Villa Gregam, un centre culturel éphémère qui lui permet d’évoluer auprès d’artistes en résidence. Un tournant dans sa vie. En effet, baigner dans cet univers favorise son envie de création et son imagination. Mais c’est lors d’un des évènements de la villa Gregam qu’il rencontre par hasard une peintre en lettre « Je ne comprenais pas du tout dans quoi je me lançais. Je suis arrivé, j’ai tout vu : les techniques, les pinceaux, le matériel, la canne, et je me suis dit que c’était incroyable comme métier. ». Ce fut un véritable coup de foudre.
La rencontre à Londres
De fil en aiguille, elle lui parle d’une rencontre internationale de peintres en lettres « les letterhead » qui se tient chaque année dans une capitale du monde. « C’était à Londres en aout 2018 ». Il y découvre tout un univers créatif. Pendant une semaine, il se retrouve baigné dans la peinture en lettres avec toute la scène internationale où tous peignent et échangent des techniques. Il reste subjugué par les créations. « Je n’avais pas compris, je pensais qu’ils téléchargeaient des typos et qu’ils imprimaient des pochoirs, c’était tellement bien fait. Je n’avais pas tout saisi, mais quand je suis rentré, j’ai su que je voulais faire ce métier. ». Passionné, il créé son entreprise en février 2019. Son projet le plus fou : un pignon de maison de plus de neuf mètres de haut, réalisé en direct des Championnats de France de Cyclisme sur Route « On m’en a parlé pendant au moins deux ans, on m’appelait même le gars de la rustine. »
De chantier en chantier, il se fait un nom et se fait repérer par de grands groupes parisiens qui le sollicitent. « Je trouve incroyable que nous, petits peintres en lettres de Grand-Champ, soyons sollicités par des groupes de luxe. » Même si la majorité de ses clients se trouvent en Bretagne, cette magnifique région, lui donne parfois du fil à retordre. « J’ai déjà eu quelques déboires. De petites averses ont fait couler quelques lettrages ». Malgré tout il prend toujours autant de plaisir, que ce soit pour le petit tenancier du PMU de Grand-Champ que pour des marques de luxe.
Hélas, cette profession, conjuguant art et communication, s’est effacée peu à peu avec l’arrivée des ordinateurs. « Aujourd’hui, il ne reste qu’une centaine de peintres en lettres, tous sont autodidactes, car il n’y a plus de formation ». Avant les années 80, il y avait un CAP, le métier était reconnu par l’Éducation nationale. « Je trouve cela dommage, sachant qu’aujourd’hui, le CAP Enseigne et Signalétique contient juste un module de 15 jours pour cette spécialisation. À ce stade, c’est juste une initiation. ».
Pourtant, peintre en lettre fait rêver de nombreuses personnes néanmoins il faut garder en tête qu’il faut être précis, concentré, rester des heures sans bouger. A l’image de son chantier sur le bateau « Grain de Sail »… « J’étais en baudrier, a douze mètres de haut, tellement crispé pour ne pas être balancé que j’ai eu des courbatures pendant une semaine ». Nombre de ses stagiaires déchantent très vite face à la réalité du métier. » on ne doit pas oublier tout le travail fait en amont : maîtriser le pinceau, avoir un tracé parfait et passer des heures devant l’ordinateur pour créer une maquette ». Car oui être peintre en lettre en 2024 c’est aussi passer des heures devant l’ordinateur…
Mais après cinq années à sillonner la Bretagne, il est toujours autant passionné. « Quand tu es dans la rue avec ma petite musique, tu fais ton lettrage, la mer derrière toi, là, c’est royal ». Sa canne, et son pinceau sont devenus une extension de son bras, « mon objectif ce serait peindre un château d’eau ou un phare », ce sont les gros projets qui le poussent toujours plus haut.