À Vannes, l’association Les Copains d’abord a aidé plus de cinquante jeunes victimes de violences depuis janvier. Dans la majorité des cas, ils subissent les conséquences d’une mauvaise relation intrafamiliale. Les chiffres sont alarmants tandis que les violences infantiles restent encore négligées dans notre pays. Alors, quelles peuvent être les réponses à cela ?
« Sa main vient s’éclater sur ma lèvre. Je suis ouvert, boursouflé, un chiffon en pleurs […] Je pisse le sang. J’ai mal. J’éclate en sanglots. Les coups étaient multiples avec toujours le même scénario. » Extraits du livre Rêver sous les coups, ces mots viennent d’un enfant qui a connu la souffrance pendant longtemps. Le journaliste Mohamed Bouhafsi décrit cette violence telle une routine pour lui. Dès son plus jeune âge, il subit les coups de son père, tout comme sa mère qui assiste parfois à ces violences, impuissante.
Aujourd’hui, de nombreuses personnalités décident de prendre la parole, Mohamed Bouhafsi mais aussi Thierry Beccaro qui évoque la brutalité paternelle dans un autre ouvrage intitulé : Je suis né à 17 ans. Deux adultes battus durant leur enfance qui se mobilisent aujourd’hui pour dénoncer la maltraitance vécue au quotidien dans le cercle intrafamilial. Ils seront les porte-voix des enfants maltraités. Leur histoire est celle de milliers de jeunes. S’ils interviennent à présent et quelques années après leur drame, c’est parce qu’ils souhaitent mettre des mots sur les maux, pas seulement pour eux mais aussi et surtout pour aider les autres. En effet, une personnalité publique qui témoigne ne peut que contribuer à la libération de la parole des victimes. Plus que jamais, il faut montrer qu’ils ne seront pas seuls, qu’ils seront écoutés et soutenus, d’où l’importance de donner aux jeunes victimes, l’espoir de s’en sortir.
Un sujet sous silence
Pour rappel, un enfant meurt tous les quatre jours sous les coups de ses parents. Le constat est terrible. La parole se libère dans le monde médiatique mais reste néanmoins tabou au cœur de la société. Récemment, des hashtags comme #Metooinceste ont fait le tour des réseaux sociaux pour dénoncer les violences incestueuses, cependant d’autres restent encore mises sous silence. Il existe peu d’études sur ce thème et les données sont rares.
Ce n’est qu’au 19ème siècle, qu’Ambroise Tardieu, alors médecin légiste, évoque pour la première fois la maltraitance infantile en France. Depuis, les associations contribuent à la libération de la parole et ne cessent de faire entendre leur voix pour mettre en lumière ce fléau et le dénoncer, à l’image des « Copains d’abord » de Vannes, présidée par Vincent Fontanieu qui a ouvert, il y a sept ans, une cellule dédiée aux violences intrafamiliales : « On accompagne les victimes dans leurs démarches et leurs droits, puis on les met en relation avec la gendarmerie. Nous ne les laissons pas tomber. Lorsqu’on nous sollicite, c’est un appel à l’aide, on agit le plus rapidement possible.»
Pour autant, l’État a mis en place des campagnes de sensibilisation régulières, mais les appels au 119 restent la porte d’entrée pour un enfant ou une personne de confiance. Avec en moyenne plus de 700 appels quotidiens en 2019, selon les chiffres du gouvernement, il y a une efficacité du dispositif même s’il faut toutefois filtrer certains appels, comme nous le rappelle Fabienne Andrieux, intervenante sociale en gendarmerie dans les Côtes d’Armor : « Il faut bien écouter les enfants et les équipes de protection du 119 le font très bien. Dans les scénarii rencontrés, on va de l’enfant qui appelle car les parents l’ont empêché de sortir le soir à l’enfant enfermé dans un placard. » En effet, sur une centaine d’appels par jour, seuls 93 sont traités car l’écoute donne lieu à une information préoccupante.
Des violences qui ont bondi avec la crise sanitaire
Une menace, un coup, une claque. Un harcèlement, un isolement, un viol. Les violences prennent des formes diverses, qu’elles soient psychologiques, physiques, sexuelles ou verbales et les isolements liés à la crise sanitaire n’ont fait qu’aggraver la situation. Les alertes sont devenues plus fréquentes. « Les situations ont implosé avec le confinement, les dépositions ont bondi » constate la Cheffe Audrey Orlhiac, référente des violences intrafamiliales à la brigade de gendarmerie de Dinan. C’est une hausse de 56,2% des appels au 119 considérés comme urgents lors du premier confinement entre le 18 mars et le 10 mai 2020. Les chiffres sont dramatiques. Dès les premiers jours, les autorités s’attendaient à une hausse de 30% des cas possibles de maltraitance infantile en 15 jours. En réaction, de nouvelles mesures nationales ont été mises en place par l’actuel secrétaire d’État à la Protection de l’enfance, Adrien Taquet. Depuis, les signalements sont désormais possibles en ligne et les campagnes de sensibilisation ont été intensifiées dans le but de nous alerter. Car, en effet cela nous concerne tous. Nous aurions pu être touchés par ce phénomène, quelle que soit notre ville, quel que soit notre milieu social. Fabienne Andrieux note que : « La période était très difficile à vivre pour beaucoup. Le confinement n’a pas permis d’avoir des moments pour soi et de s’aérer. Habituellement, chacun a ses activités personnelles. Là, nous étions ensemble, toute la journée, dans un lieu clos. » Cela n’arrive pas qu’aux autres. Des marques, des ecchymoses, des hématomes, ce sont des signes qui alertent. Aucun n’est épargné face à ce phénomène quel que soit notre milieu de vie. En ville comme à la campagne car cela relève de la maîtrise des émotions. Il en est de même pour la classe sociale, que l’on soit aisé ou non. La Cheffe Orlhiac le rappelle : « Toute classe sociale est touchée. Quel que soit l’âge des agresseurs et des victimes majeurs ou mineurs, qu’ils aient un lien direct entre eux ou pas. »
Néanmoins, ces coups sont irréversibles et les cicatrices restent. Des portes qui grincent, entendre des pas dans la nuit… L’état d’insécurité et les psychotraumatismes sont toujours présents. Les événements vécus par les enfants ne sont pas sans conséquence, notamment sur leur construction. Katy Carrillo, psychologue et intervenante au sein de l’association vannetaise, « Les copains d’abord », nous décrit les effets de ces violences. « L’enfant peut être habité par une sensation de menace permanente. Un mot, une odeur, une chanson et il replonge dans la violence subie. » Mais ce n’est pas tout, les conséquences interviennent aussi sur le développement. Troubles du sommeil et de l’attention, retards, repli, brutalité, reproduction de violences… la liste est longue. La peur s’installe chez l’enfant. Peur de parler mais aussi peur d’affronter l’adulte. Une situation complexe pour les petits. Katy Carrillo rappelle qu’un enfant a besoin d’une proximité avec l’adulte qui en même temps le fait souffrir. « La seule solution dont il dispose c’est de se rendre responsable. » L’enfant subit et aime en même temps.
Alors que faire ?
L’écoute est le maitre-mot de la libération de la parole. Les associations accompagnement les victimes et établissent un lien social en rompant l’isolement. Pas à pas. Cependant, il est tout de même difficile d’y parvenir car il y a le silence. La Cheffe Audrey Orlhiac explique qu’ : « Un enfant maltraité ne parle pas. » Étymologiquement, enfant signifie celui qui ne parle pas. Cela fait donc sens. Mohamed Bouhafsi a subi les coups de son père durant sa jeunesse. Il estimait que s’il parlait, il voyait le monde s’écrouler autour de lui alors il préférait se taire. D’après Katy Carrillo, « l’enfant ne cesse pas d’aimer ses parents. Il cesse de s’aimer lui-même en portant une culpabilité. » Si un enfant ne parle pas, c’est aussi par peur de ne pas être cru. D’autres restent muets car ils considèrent que ce qu’ils vivent fait partie de la normalité, tant qu’ils n’ont pas accès à autre chose. Fabienne Andrieux revient sur une histoire qui l’a marquée au cours de sa carrière : « Deux frères se trouvaient à genoux sur des cailloux. Ils étaient en sang et ne voyaient pas le problème. »Les assistantes sociales ne peuvent intervenir seules. Cela reste compliqué de s’immiscer dans le huis clos familial. Des doutes subsistent notamment chez les proches et chez les voisins. Ces derniers sont majoritairement à l’origine des alertes mais encore beaucoup préfèrent se taire dans le doute. Ils ont un rôle essentiel mais n’en ont pas toujours conscience. « Dans la majorité des situations, les gens ont peur de se tromper, c’est pire que tout. » rappelle la Cheffe Orlhiac. Dans le doute, on n’intervient pas et ne sauve pas la vie d’un être. Les gens se taisent pour éviter que, potentiellement quelqu’un soit accusé à tort or s’il y a des cris, des signes… Ce n’est pas anodin. Il est aussi question de représailles, c’est pourquoi, il faut protéger les enfants et le plus tôt possible. Un paradoxe tout de même alors que ceux qui sont censés nous préserver sont le plus souvent, les auteurs. C’est une triste réalité, les violences se passent en grande partie au sein des familles. La solution ? Faire de la prévention chez les plus jeunes, de la part de la gendarmerie, des assistantes sociales, des associations… Mais cela ne résout pas le problème dans l’immédiat. Fabienne Andrieux en a conscience : « C’est difficile d’éduquer des adultes alors intervenir auprès des jeunes, c’est ce que l’on peut faire de mieux. » Se rendre en gendarmerie ou au commissariat de police nécessite un effort monstre alors ces temps de prévention sont légitimes. Les gendarmes, les assistantes sociales et les membres d’associations ont été formés et sont à l’écoute des victimes.