Le don d’organes et de tissus, et si on en parlait ? Sujet tabou, personne n’aime y penser et pourtant d’aucuns à un pouvoir, celui d’offrir un nouveau souffle à ses prochains. 80% des Français se disent favorables au don d’organes et de tissus, mais seulement 49% en auraient informé leurs proches. Malgré une sensibilisation insuffisante de l’Agence de la biomédecine, en parler, c’est aider à prolonger des vies.
Hélène Casagrande a été sauvée par un donneur. Elle vit miraculée. Atteinte de mucoviscidose à la naissance, elle s’inscrit sur la liste d’attente de greffe en 2002. À seulement 19 ans. C’est pourtant la période où on se sent libre comme l’air, or, cet air c’est une machine qui le souffle dans ses poumons. Dix litres d’oxygène. 24h/24.
À l’étape du brossage de dents sa peau bleuit. Les cures d’antibiotiques se conjuguent avec des séjours à l’hôpital. Une seule issue est envisageable « la transplantation sinon c’est la mort ». Alors elle « attend pour vivre », patiemment, trop longtemps. « Ça faisait trois ans et quelques jours que j’attendais. Lors d’une promenade, je marchais avec ma mère, elle me prenait l’oxygène et je vois une petite coccinelle qui arrive. Elle se pose sur ma main et je lui dis, allez, va me chercher des poumons parce que là ça fait longtemps que j’attends. » Deux jours après, elle est appelée. En somme, 37 mois de survie ont été nécessaires pour recevoir un « cadeau extraordinaire ». Un don de deux poumons par un illustre inconnu. Puis tout s’accélère. « Une renaissance ». « On n’a plus d’oxygène, on n’a plus la VNI*, on n’a plus de kiné respiratoire ». « J’ai attendu trois ans, je me suis dit si j’ai trois années bonus, ce serait super déjà. Aujourd’hui, j’en suis à 17 ». Si le greffon avait tardé un mois de plus, « c’était fini, il ne me restait pas beaucoup de temps ».
Agence de la biomédecine : mission d’information et de sensibilisation à l’abandon
Pour la survivante, cette épreuve aurait pu être moins éprouvante si la population avait été davantage sensibilisée au don d’organes et de tissus. Don d’organes. Don de soi. Si la solution est en nous tous, trop peu de personnes ont connaissance du lien qui nous unit : la vie. Pourtant, d’aucuns à un pouvoir, celui d’offrir un nouveau souffle à ses prochains, même lorsqu’on en a plus. D’après le baromètre 2021 « les Français et le don d’organes » réalisé par Viavoice pour l’Agence de la biomédecine (ABM), seulement 47% des Français déclarent être bien informés sur le don d’organes. Conséquence de cette carence : « on a des refus de dons par les familles du défunt par méconnaissance de la loi, c’est dommage. » s’attriste Mireille Bertho, infirmière coordinatrice des prélèvements d’organes et de tissus au GHBA Vannes. Cette loi Caillavet dispose depuis 1976 – réaffirmée en 2016 – que chacun est un donneur présumé d’organes et de tissus à moins qu’il n’ait exprimé de son vivant le refus d’être prélevé. Mais la connaissance de cette loi n’est pas homogène au sein de la population française. Le baromètre 2019 sur « les Français et le don d’organes » met en perspective deux publics possédant un niveau de connaissance moindre, les plus jeunes (16-24 ans) et les seniors (60 et plus), en raison d’un sentiment de non-concernement par ce don. « Les personnes âgées, au-delà de 70 ans, pensent que le don d’organes et de tissus ne les concerne pas. On leur répond qu’ils peuvent encore donner, il n’y a pas de limite d’âge pour le foie et le rein notamment. On a eu des donneurs de 90 ans » rétablit Isabelle Gaudens, seconde infirmière coordinatrice des prélèvements d’organes et de tissus au GHBA Vannes. L’Agence de la biomédecine précise que les donneurs prélevés âgés de plus de 65 ans représentaient 40% des donneurs en 2020. C’est l’état des organes qui importe et il dépend des conditions dans lesquelles la personne est décédée et de son hygiène de vie.
À la lumière de ces constats, des campagnes d’information ciblées sont lancées chaque année par l’Agence de la biomédecine. Or, « si la journée nationale du 22 juin et la journée mondiale du 17 octobre représentent deux temps forts pour la promotion du don d’organes, la sensibilisation doit se faire de manière continue et ciblée pour être parfaitement intégrée. » avertit le collectif Greffes +, unis pour plus de dons, plus de greffes. Cette mission de promotion et de développement de l’information est pourtant accordée à l’Agence de la biomédecine, agence nationale d’État, placée sous la tutelle du ministère de la Santé. « Hormis ces deux dates, je trouve que l’Agence ne fait pas tellement d’informations. Il faudrait régulièrement des petits spots pour questionner et remettre le don d’organes et de tissu comme un sujet de conversation. » appuie Isabelle.
Outre l’insuffisante diffusion de ce message de santé publique, les Français sont également mal informés. En effet, Gérard Casagrande, atteint de mucoviscidose dès la naissance et transplanté bi-pulmonaire, s’est offusqué en visionnant la campagne « Gardons le souffle du combat » de Vaincre la Mucoviscidose en 2020. « Pourquoi vous mettez une petite fille qui souffle ses bougies ? Quand on a la mucoviscidose on ne peut pas les éteindre. Pour se rendre compte de ce que c’est un muco en attente de greffe, respirer dans une paille. » Au cours d’une réunion, les membres de l’association lui ont répondu « on ne peut pas mettre en scène une fille atteinte de la maladie. C’est l’effigie de l’association, imaginez si l’année d’après elle décède. ». Gérard regrette que Vaincre la Mucoviscidose ne l’ait pas au minimum mentionné sur sa campagne, dont l’objectif était de sensibiliser le grand public sur cette maladie. Isabelle et Mireille caractérisent cet acte de tabou sur la mort. « On le voit bien quand on finit nos interventions d’information, nous les conseillons de ne pas hésiter à en parler lors d’un repas de famille et ils deviennent gênés. Pour eux, ce n’est pas le bon moment. On leur répond qu’il est possible sur le ton de la dérision d’échanger sur sa position du prélèvement d’organes.
Échanger sur sa volonté, c’est sauver des futurs greffés
Pourquoi insistent-elles sur l’importance d’en parler à leur entourage ? Parce qu’en cas de mort brutale, ce sont les proches du défunt qui sont questionnés par les infirmières de coordination afin de connaitre sa volonté sur le don. « Quand on rencontre les familles, on insiste sur le fait que ce n’est pas leur autorisation qu’on demande, mais c’est de nous relater qu’elle était la volonté de leur proche s’il l’avait émise. S’il n’avait pas formulé d’y réfléchir en fonction de sa personnalité, s’il était généreux. Il faut penser à la personne et ce qu’elle aurait voulu qu’on fasse pour elle. » explicite Isabelle. Francky Delage, chirurgien urologue au GHBA Vannes, dévoile ainsi l’écart entre la loi et la réalité. « Si les proches du défunt informent les infirmières de coordination qu’il avait exprimé le souhait, par écrit ou de manière orale, de ne pas être prélevé, il n’est pas éthique de réaliser le prélèvement d’organes, même s’il n’est pas inscrit sur le registre national de refus. ».
En revanche, si le défunt ne leur avait jamais évoqué ce sujet, il leur reviendrait donc de prendre la lourde décision à sa place. « La famille du défunt peut s’y opposer même si le patient ne s’était pas manifesté de son vivant, quand bien même la loi nous y autorise. » Comment être certain de respecter la volonté du défunt ? « Pris de cours, il faut qu’ils réfléchissent dans l’urgence ». Endeuillée et ébranlée, il n’est pas rare que dans ce contexte les proches s’opposent au prélèvement d’organes et de tissus. L’agence de la biomédecine admet que le principal motif de non-prélèvement chez les patients en mort encéphalique est l’opposition exprimée par sa famille. Assurément, le contexte (conflictuel ou sans possibilité de dialogue) n’ayant pas permis d’aboutir au prélèvement représente 47,8% des types d’opposition en 2020. Par conséquent, si le défunt était favorable au don, cette décision contraire causerait la perte de nombreux organes et tissus vitaux pour ceux en attente de greffes pour revivre. Selon Isabelle ces ressources pourraient « améliorer la qualité de plusieurs vies ou en sauver. Il faut se mettre à la place d’une personne en insuffisance rénale, qui doit venir trois fois par semaine à l’hôpital pendant cinq heures pour se faire dialyser. Grâce à un nouveau rein elle serait libérée de tout ça ». « Il y a des malades dans des lits à l’hôpital qui savent que si dans quinze jours on ne trouve pas l’organe, ils vont mourir. » ajoute Mireille. De ce fait, 700 personnes sont décédées par manque de greffon en 2019 parmi les 26 000 en attente de greffe. Il s’avère donc important de réfléchir au don d’organes et de tissus pour éviter à ses proches de choisir à notre place et que notre volonté soit respectée.
Néanmoins, tout consentement implique de se documenter, de questionner son entourage pour comprendre le sujet et se l’approprier dans le but de statuer. « Avoir l’information en amont permet d’avoir déjà des réflexions avec chacun au sein de la famille. » avertit le chirurgien. En 2006, l’ABM a signalé que les jeunes de 16 à 25 ans attendaient des informations pédagogiques sur le don d’organes pour constituer un socle de connaissances leur permettant de réfléchir, prendre position et ainsi en parler. 97% d’entre eux désiraient qu’on les fasse réfléchir au sujet et qu’on leur explique le processus du prélèvement et de la greffe (92%). Pour ce faire, ils jugeaient à 97% que les meilleurs vecteurs d’information sont l’école ou la faculté par des interventions extérieures. En ce sens, le collectif Greffes + a réalisé un manifeste « plus de prélèvements pour plus de greffes » en 2021 pour établir des recommandations pour alimenter le quatrième plan ministériel pour le prélèvement et la greffe d’organes 2022-2026. Parmi les cinq thématiques formulées pour lever les obstacles au prélèvement et à la greffe, la culture du don constitue la déception majeure du plan 2022-2026 pour le collectif Greffes +. « On regrette qu’il n’y ait pas eu pression auprès de l’Éducation nationale pour que ce sujet soit introduit dans les programmes de SVT. » déplore André Le Tutour vice-président de la fédération Transhépate à Paris, membre du collectif Greffes +, et président fondateur de Transhépate Bretagne Ouest. Mireille avertit qu’« il faut vraiment nous donner une place, c’est trop important pour nous de transmettre parce que personne n’ira spontanément se renseigner sur le don et le prélèvement à moins d’y avoir été touché dans sa famille. » Incontestablement, les jeunes générations représentent l’avenir de demain du don d’organes et de tissus.
Ce manque de sensibilisation s’illustre par les propos de Yves Phelippeau, intervenant pour témoigner de son don du vivant de moelle osseuse avec l’équipe de coordination du GHBA Vannes. « Un malade qui a besoin d’une greffe de moelle osseuse en France aura une grosse probabilité d’avoir un donneur américain ou allemand parce que leur fichier d’inscrit de donneurs de leur vivant est considérable. En Allemagne, six millions sont inscrits tandis qu’en France, on en dénombre seulement trois-cent-mille. Il n’y a pas de raison que les Allemands soient plus généreux que les Français. Cela résulte d’une politique de communication du ministère de la Santé et de la communication en entreprise. En France, il y a un défaut de communication alors que le vecteur pourrait être les universités car il faut chercher le fichier avec des jeunes. Je suis enseignant au Lycée Charles de Gaulle et je vois qu’il faudrait des interventions, des flyers, des affiches pour informer et sensibiliser les jeunes sur l’importance du don du vivant. ». Le don du vivant constitue une autre thématique formulée par le manifeste pour éviter les pertes de chance pour les malades et optimiser son recours. En effet, le prélèvement à partir de donneur vivant renforce la capacité de pallier le déséquilibre entre le nombre de greffes réalisées et le nombre de malades en attente. Ce déséquilibre s’explique notamment « parce que les donneurs d’organes sont rares. Pour être prélevé le donneur doit être en mort encéphalique, et ce cas ne représente que 1% des décès dans un hôpital. » éclaircit Isabelle. Ainsi, le plan ministériel a retenu, parmi ces neuf axes, de développer le prélèvement et la greffe à partir de donneurs vivants. Pour ce faire, le ministère des Solidarités et de la Santé fixe, par exemple, à l’ensemble des acteurs impliqués, qu’en 2026, 20% des greffes rénales soient réalisées à partir d’un donneur vivant. Néanmoins, « cette source de prélèvement est limitée à un rein, une partie du foie, et la moelle osseuse ». Cette limitation est d’autant plus importante que la probabilité d’être compatible avec un receveur en attente de moelle osseuse est une chance sur un million.
Face à l’inaction des institutions : des associations agissent pour la sensibilisation
Alors pour parer le manque d’information et de sensibilisation au don d’organes tant en mort encéphalique que de son vivant, confiée à l’ABM, des acteurs principalement associatifs œuvrent pour sauver davantage de vies. « Même si le plan 2022-2026 ne considère pas la communication notamment dans les collèges et les lycées auprès de la jeune population, on continue quand même à sensibiliser la population par des actions. » persévère André. Pour ce faire, du 20 au 25 juin prochain, André avec Amigo Bretagne organise la sixième édition du Tour de Bretagne cycliste des greffés. Il souhaite montrer que la greffe est un acte qui triomphe car « les participants sont des greffés, ils ont une vie quasiment normale, ils font du sport, ils entretiennent l’organe qu’ils ont reçu ». Le parcours de 440 kilomètres, dont chaque étape rejoindra un CHU ou un hôpital qui prélève, sera rythmé par des « arrêts citoyens tous les dix kilomètres dans les communes pour sensibiliser la population au don d’organes et à la greffe ». Afin de témoigner qu’il y a une vie après la greffe. « Grâce à la greffe de foie, ma vie a été considérablement prolongée. Je vis quelque chose d’extraordinaire depuis 32 ans parce que j’ai été sauvé par quelqu’un que je ne connaitrais jamais par son geste altruiste, gratuit et généreux. Il n’y a pas meilleur geste. Si je n’avais pas été greffé c’était fini ma femme était veuve. Grâce à cela, j’ai eu la chance de voir mes trois enfants grandir, se marier, avoir des enfants ».
*La Ventilation Non Invasive (VNI) consiste à délivrer de l’air pressurisé grâce à un respirateur