Psychologue, et titulaire d’un master en psychologie du développement des enfants et des adolescents, Marie-Laure Martin intervient au sein d’un cabinet libéral mais aussi dans les EHPAD et au sein de l’association AMISEP. Au regard des récents évènements notamment concernant le retour du masque chez les enfants, elle revient sur les impacts que cela peut avoir sur la construction de l’enfant.
On a pu constater dernièrement dans l’actualité que le port du masque était de nouveau instauré dans les écoles quel est votre avis à ce sujet ?
On le sait tous, le port du masque, en dépit de son action de protection sanitaire, entraine une gêne, de la fatigue, du stress. Chez les enfants, c’est encore plus évident, il empêche de décoder les signaux du visage, les émotions. Tous ces signaux manquants, affectent l’enfant dans son interprétation du monde. Plus particulièrement, lorsqu’ils sont petits. Mais une chose à noter, la réaction des parents, dans un tel contexte, est importante, en effet les enfants vont retranscrire l’état émotionnel de leurs parents.
Avec le retour du port du masque, certains parents sont-ils venus vous solliciter ?
Aucun parent, n’est venu vers moi pour se plaindre du port du masque à proprement parler, leur inquiétude est liée à l’état émotionnel de leurs enfants souvent fragilisé. Ces états anxieux pouvant être liés au port du masque, provoquent des symptômes, se caractérisant par des plaintes somatiques, des maux de ventre, des difficultés de sommeil, des troubles alimentaires, des changements de comportements… Les enfants peuvent avoir un comportement de retrait, être plus silencieux, ou au contraire être plus dispersés, et avoir du mal à entendre à se concentrer. Tous ces symptômes, témoignent de l’état émotionnel et psychique de l’enfant. Certains vont s’exprimer sur leur difficulté, d’autres ne le feront pas car ils ne sont pas forcément en mesure de le dire verbalement.
Pensez-vous que le port du masque peut les affecter à l’avenir et comment pensez-vous qu’il les affecte ?
Il existe déjà des études qui ont été faites en décembre 2020 chez les tout petits, dans les crèches, les haltes garderies. A ce jour, à ma connaissance, il n’existe pas de recherche qui a été faite sur des jeunes enfants, des enfants plus grands, des adolescents. Ce qui ressort ce sont les impacts importants sur l’acquisition du langage, car nous savons que les enfants s’appuient sur les sons pour apprendre à parler, sur les expressions du visage, sur la formulation des mots avec la forme des lèvres, la position, pour pouvoir imiter et reproduire. On remarque qu’ils peuvent rencontrer des difficultés pour comprendre que l’on s’adresse à eux.
Les enfants vont être globalement moins souriants, car cela se vit aussi dans l’imitation. On remarque par ailleurs un impact, au niveau des professionnels qui les accompagnent. En effet, ils peuvent ressentir, avec ce port du masque, une certaine fatigue, ils peuvent s’essouffler sur certaines activités, donc ils vont devoir leur proposer des activités différentes. Cette fatigue va générer plus d’agacement ou des comportements différents. Tout cela, va impacter les enfants dans leur développement, sur le plan émotionnel et conditionner leur capacité à répondre aux émotions qui sont proposées, à s’adapter.
Également, des enfants, parfois, vont devenir inquiets de découvrir le visage de l’adulte, de percevoir dans leur regard qu’il y a une interrogation. En tant qu’adultes, nous avons croisé des milliers et des milliers de visages dans notre vie contrairement aux enfants qui n’ont connu qu’un monde masqué, la découverte du visage par l’enfant peut s’avérer être une surprise, entrainant un réel impact sur le plan neuro développemental.
On peut imaginer qu’il y aura des conséquences sur le plan relationnel et social. Ils vont avoir besoin de plus de temps.
Des conséquences qui inquiètent ?
Oui et par ailleurs, pour les enfants porteurs de handicaps, notamment ceux qui peuvent s’apparenter à des troubles du spectre autistiques. Cela va être plus compliqué de construire une relation adaptée à l’autre pour ces enfants.
Dans l’avenir, on peut imaginer des décalages importants, des retards dans les acquisitions, qui vont se répercuter sur leurs années d’enfance et d’adolescence. On peut imaginer, qu’il y aura des conséquences dans les 10-15 ans à venir pour les enfants qui n’auront connu que les adultes masqués dans leur entourage.
On peut cependant relativiser, car à la maison les parents ne sont pas masqués pour la grande majorité des familles. Tous les enfants ne sont pas à gardés à temps plein en structure, ni pour les enfants qui sont gardés auprès d’assistantes maternelles. Quand elles sont à leur domicile, il est aussi tout à fait possible qu’elles ne portent pas le masque. Et fort heureusement, les enfants ont de grandes capacités d’adaptation, ils vont donc pouvoir compenser.
Quelles seraient les solutions pour ces enfants, pour qu’ils subissent moins ce port du masque ? Pour limiter l’impact que cela peut avoir sur eux ?
J’imagine que nous allons avoir besoin de créativité. Par exemple, sur les temps de collectivité dans les structures petite enfance, qu’il puisse y avoir des adultes masqués auprès des enfants et certains adultes plus éloignés sans masque, qu’ils puissent raconter des histoires, chanter des chansons comme c’était le cas avant. De plus, il serait intéressant de pouvoir travailler auprès des enfants plus grands, avec davantage de supports autour des jeux de rôles d’expressions émotionnelles, avec par exemple le théâtre. On sait que les jeunes enfants arrivent à repérer quand un adulte sourit derrière son masque par exemple. Il y a donc des choses qui passent par le regard et les traits du visage qui s’affichent.