Pendant que la crise sanitaire éloignait les spectateurs des stades et des salles de sport, l’e-sport, nom donné aux compétitions de jeux vidéo, a continué d’avoir lieu en ligne. C’est dans cette étonnante période que deux influenceurs aux millions d’abonnés sur les réseaux – Kamel Kébir et Amine Mekri, 26 et 28 ans, plus connus sous le nom de Kameto et Prime – ont lancé la Karmine Corp. En un an d’existence et malgré l’un des plus petits budgets de la scène, l’équipe a explosé toutes les attentes en remportant deux titres européens sur League of Legends, le jeu compétitif le plus populaire au monde. Mais surtout, la structure a su créer autour d’elle, une communauté de passionnés, avec un engagement encore jamais vu dans le sport électronique.
Xavier Oswald, a rejoint la Karmine Corp en qualité de directeur général délégué Business et Stratégie dans l’idée d’aider l’équipe à capitaliser son immense succès. Officiellement en charge de promotionner et de commercialiser cette succès story, nous l’avons rencontré.
Le 14 novembre, à la surprise générale, Rekkles a rejoint la Karmine Corp. C’est la première star à rejoindre votre équipe, qu’est-ce que cela change ?
Ce n’est pas une star qui rejoint l’équipe, c’est LA plus grande star de League Of Legends en Europe et dans le monde occidental, League of Legends, qui est d’ailleurs le jeu compétitif le plus populaire au monde. Aujourd’hui, personne ne lui est comparable. Donc cela change beaucoup de choses. C’est aussi le symbole de ce que représente la Kcorp dans l’écosystème esportif aujourd’hui.
Vu le succès de l’équipe, n’est-ce pas la suite des choses de voir un joueur comme Rekkles arriver chez vous ?
Il est vrai que la Karmine Corp a connu une explosion jamais vue jusque-là en Europe. En très peu de temps il y a eu des trophées, des records d’audiences (plus de 300 000 spectateurs sur Twitch, lors de la première de leurs deux victoires européennes) et nous avons créé un événement, le KCX, au cours duquel nous avons réuni 3000 fans pour suivre un match de l’équipe. Kameto et Prime sont ambitieux et leur objectif est clair, gagner le championnat du monde. Mais pour cela il faut rejoindre le LEC, une ligue fermée européenne où la place s’achète aux alentours de 20 millions d’euros. L’objectif est d’y accéder dès l’an prochain. Mais chaque chose en son temps, car il faut rappeler que l’équipe n’existe que depuis un an et qu’elle ne joue pas encore au plus haut niveau !
Vous parlez des deux fondateurs, c’est eux qui vous ont convaincu de rejoindre la KCorp ? Vous qui ne vouliez plus travailler au sein d’une équipe…
J’avais entendu parler de la KCorp mais je ne connaissais pas Amine et Kamel. Je les ai rencontrés et j’ai été très agréablement surpris car je n’avais pas perçu à quel point ils avaient réussi chacun de leur côté : Kameto autour de son activité de streamer sur Twitch, Prime en tant qu’entrepreneur dans la musique et avec sa marque de vêtements. C’est cela qui m’a séduit et au bout de quelques minutes, j’avais compris que j’avais à faire avec des jeunes gens intelligents qui savaient ce qu’ils faisaient et où ils voulaient aller. Ils m’ont ensuite convaincu que je pouvais contribuer au développement de la structure et apporter ma pierre à l’édifice.
Et puis la Karmine Corp ce n’est pas une équipe comme les autres. Les fans sont uniques en Europe, leur investissement est énorme. Quand on voit que 300 d’entre eux ont fait le déplacement à Barcelone en pleine semaine pour un match*, et qu’ils ont fait plus de bruit que les 15 000 supporters espagnols… Ce sont des choses qui n’existaient pas dans l’e-sport avant l’arrivée de la KCorp. C’est tout cela qui m’a convaincu.
Au sein de la KCorp vous êtes Directeur de la stratégie et du business, en quoi cela consiste ?
Il s’agit de gérer tout l’aspect financier du club, pour le structurer, apporter mon expérience et développer toutes les sources de revenus. C’est aussi réfléchir avec Prime et Kameto, les deux fondateurs de ce que sera la Karmine Corp demain.
Il y a cinq ans vous aviez le même rôle dans une autre très grande équipe française d’e-sport : Vitality. Est-ce que vous sentez que les relations avec les partenaires, sponsors, entreprises ont changé depuis ce temps ?
Oui c’est certain les entreprises, les médias se sont rendus compte qu’il se passait quelque chose et que l’e-sport était bien plus qu’une mode. Les marques ont toutes compris qu’elles avaient un intérêt à rejoindre ce secteur qui touche leurs consommateurs et leurs clients, d’aujourd’hui et de demain, et qui rassemble autour de valeurs communes. Il va falloir continuer de travailler pour le démocratiser certes mais cela va dans le bon sens. Le sport professionnel est infusé dans la culture générale depuis plus de 70 ans alors que l’e-sport n’en est qu’à ses débuts.
Pourtant vous répétez souvent que vous êtes l’équipe qui a le meilleur taux d’engagement sur Twitter avec ses fans, et ce dans le monde entier. Ce n’est pas suffisant aujourd’hui pour convaincre les marques de votre popularité, en plus de vos audiences ?
Je ne le répète pas à tout va, je montre les chiffres. Il suffit d’aller le voir en live (il ouvre Twitter sur son téléphone). On est un compte Twitter avec 225 000 followers et sur l’annonce du recrutement de notre dernier joueur, on a eu 31 000 likes. Team Liquid, qui est la plus grande structure américaine, annonce son dernier joueur : 27 000 likes alors qu’ils ont plus de 700 000 followers. Le calcul est simple, il suffit de regarder les chiffres. Et ce n’est qu’un exemple.
En France, on retrouve trois clubs en haut de l’affiche, la Karmine Corp, Vitality et Solary. Les autres équipes, qui pour certaines investissent pourtant massivement, n’existent pas médiatiquement. Est-ce qu’il y a un risque, à terme, de voir les trois principales structures vampiriser l’économie et de voir les autres mourir…
Peut-être, mais je ne vais pas ralentir mon investissement et l’ascension de mon club pour autant. C’est une donnée importante et intéressante certes mais je n’y peux rien. Ce n’est pas moi qui dirige les autres clubs, qui dis aux sponsors où investir. Je pense cependant qu’il y a de la place pour tout le monde, à des degrés divers, certes.
Il y a une démarche que l’on voit chez de nombreux club d’e-sport ces dernières années, ce sont les levées de fonds, pour financer des futurs gros coûts, ou pour attirer des investisseurs autour des projets. C’est quelque chose qu’on pourrait voir chez la Karmine Corp un jour ?
Nous n’avons pas besoin de cela aujourd’hui. La seule raison pour laquelle on devrait faire appel à une levée de fonds, ce serait par exemple si on devait investir massivement pour rejoindre une grande ligue franchisée. Sinon on a aucune raison de le faire. On n’a pas d’investisseurs, on est indépendants et on se développe en fond propre. Si demain, nous ne sommes pas capable de générer des revenus, on meurt.
Ça veut dire qu’actuellement l’équipe est rentable ?
Si on perdait de l’argent, il n’y aurait pas de Karmine Corp, puisque nous n’avons pas d’investisseurs derrière nous pour colmater les brèches. C’est aussi simple que ça.
On dit souvent que l’e-sport n’a pas de lien local, les clubs étant très rarement attachés à des villes comme dans le football par exemple, ce qui fait que les spectateurs ont parfois du mal à s’attacher aux équipes. Chez Karmine Corp, c’est une volonté de s’implanter comme une marque française ?
Aujourd’hui on a conquis le territoire français, mais cela ne veut pas dire que l’on ne va pas élargir notre cible à l’Europe. Oui c’est une volonté sur le long terme de s’affirmer comme une équipe française, sur nos réseaux sociaux par exemple, on communiquera toujours en français.
*Un match amical en format aller/retour a eu lieu entre la Karmine Corp et le club d’Ibai et Gerard Piqué, deux stars espagnoles, l’un streamer mondialement suivi et l’autre joueur du FC Barcelone. La première rencontre a eu lieu à Barcelone le 15 Décembre devant 15 000 personnes, et le retour s’est déroulé à Paris le 8 janvier au Carrousel du Louvre devant plus de 1000 fans, à cause des conditions sanitaires.
Lexique :
KCX : Évènement créé par la Karmine Corp, où 3500 fans ont été réunis pour regarder un match de leur équipe.
League of Legends : Jeu compétitif le plus populaire du monde, joué par des dizaines de millions de personnes dans le monde. La finale des derniers championnats du monde a été suivi par 4 millions de personnes (hors Chine)
Vitality, Fnatic et Solary : Trois des plus grandes structures européennes d’e-sport.
Twitch : Plateforme de streaming appartenant à Amazon, où est diffusée la majorité des compétitions d’e-sport.