La crise sanitaire qui perdure encore aujourd’hui a fait éclater au grand jour la pénibilité de certains métiers et mis en lumière les défaillances de notre système hospitalier. Les manifestations des sages femmes et plus largement des soignants se multiplient depuis des semaines et une revalorisation complète est réclamée… Pour autant, ils peinent à se faire entendre. Une sage- femme fraichement diplômée de 24 ans, Marie Gicquel, nous éclaire sur son quotidien et son rôle au sein de la clinique de la sagesse, à Rennes.
Parlons un peu de l’actualité… Que pensez-vous du plan SEGUR*? Un signe d’une prise en considération de votre travail ?
Avant de commencer, notons que nous avions été les oubliés de ce plan… Néanmoins, cela nous a permis de nous exprimer et de bénéficier de cette augmentation sur le tard… Mais l’aspect financier n’est finalement pas le sujet principal, l’enjeu actuellement est de rehausser significativement les effectifs, de réfléchir à nos conditions de travail, une reconnaissance globale est demandée, revendiquée aujourd’hui. Donc cette mesure est une avancée, certes, mais ce n’est clairement pas suffisant.
Quelles seraient les urgences afin d’améliorer vos conditions de travail ?
Plus de personnel, être plus disponibles pour les femmes, totalement disponibles pour elles alors qu’aujourd’hui la tendance observée est de deux voire trois femmes en même temps pour une sage-femme.
Notre objectif initial est d’accompagner les femmes, le plus naturellement possible… Or accompagner ne signifie pas seulement « surveiller techniquement » mais soutenir, motiver psychologiquement un peu comme du « coaching ». Ce n’est pas uniquement faire des soins, évaluer le monitoring, aller le tracer et examiner la dame. Mais malheureusement nous en sommes presque réduits à faire cela, de la technique. Pendant mes études, la tendance était déjà de privilégier les outils médicaux et non l’accompagnement ainsi que la dimension psychologique. Par la suite cela s’est vérifié puisque, lors de stages nous sommes tout de suite confrontés aux impératifs : miser sur la médicalisation.
Comment ressentez-vous l’ambiance, le climat au sein de votre service ? Notamment avec cette actualité mouvementée…
Ce n’est pas toujours simple. En clinique, nous travaillons dans des conditions peut-être moins difficiles. Quand je compare avec mes collègues ou amies travaillant dans les hôpitaux publics, de plus en plus mal en point, je me sens chanceuse… Maintenant, nous avons aussi envie de faire la grève, de protester pour toutes les sages femmes parce que ce sont nos collègues. En plus de cela, si nous ne manifestons pas toutes et tous ensembles, nous n’aurons pas le poids nécessaire pour avoir un résultat efficace, optimal. Parce que si nous faisons grève c’est pour la reconnaissance, pour améliorer nos conditions de travail et surtout pour garantir la sécurité de nos patientes.
D’autant que ces derniers mois, les conditions ont été particulièrement difficiles. Nous avons entendu de nombreux témoignages assez bouleversants sur les mesures barrières pendant l’accouchement qu’en pensez-vous ? (Était-ce inévitable, les masques entre la maman et son nouveau-né, le papa mis à l’écart pour éviter les risques sanitaires…)
En effet, c’est un sujet. Quand nous avons commencé à mettre les masques cela a transformé tout notre rapport à l’humain, pourtant si crucial dans ces moments-là. La relation avec nos patientes a été forcément perturbée… Surtout pour la femme qui accouche, cela chamboule quand même pas mal de choses notamment pour le peau à peau, la première tétée avec son bébé… On sait que l’enfant a besoin d’avoir un contact visuel, tactile et avec le masque cela bloque quand même cette toute première relation entre la mère et son enfant.
Maintenant, toutes les maternités n’ont pas fonctionné de la même manière. Mais c’est évident que cette crise sanitaire a empiré la situation déjà compliquée. Alors on essaie de mettre en place certaines choses afin d’éviter ces souffrances : notamment tester les dames à l’arrivée, demander au papa aussi d’avoir un test valide pour pouvoir rester en salle. C’était important pour nous aussi de travailler sur l’inclusion du papa dans le processus de naissance, même pendant cette pandémie, car ce n’est vraiment pas aidant pour la femme, d’exclure son compagnon. Plus techniquement, lors de la poussée, pour que la femme puisse quand même être dans les meilleures conditions possibles pour accoucher, on lui propose d’enlever son masque et dans ce cas-là nous nous mettons les masques FFP2.
Quelle est la place de l’administratif dans votre quotidien de sage-femme ?
Cela nous prend énormément de temps, néanmoins c’est médico-légal donc nous sommes dans l’obligation de respecter ces règles. Nous avons beaucoup de responsabilités, celle de la vie du bébé, de la maman, donc il faut tout « tracer ». Tout ce qui a été fait doit être noté quelque part et il ne faut rien oublier parce que si jamais il y a un problème ou quoi que ce soit il faut prouver que ces choses-là ont été faites. Forcément, il faut donc être le plus rigoureux possible et cela prend du temps… Sans compter l’administratif en général ; le carnet de santé, toutes les petites choses à rajouter et en fait tout cela est quelque part du temps de perdu pour être au plus près de la femme… Je ne sais pas comment on pourrait faire pour diminuer cette partie-là dans notre quotidien parce qu’en même temps ces papiers sont nécessaires.
Ces conditions difficiles impactent-elles votre travail ?
Au niveau du rythme, de la fatigue c’est supportable. Par contre ce qui nous touche et ce que l’on dénonce c’est le problème du sous-effectif, nous ne sommes pas assez nombreux ! Lorsque l’on doit s’occuper de deux ou trois femmes qui sont en salle de naissance on ne peut pas faire notre métier au mieux… C’est difficile pour nous mais surtout et avant toute chose pour la patiente. L’idéal serait d’être une sage-femme pour une patiente, de pouvoir la suivre du début à la fin, sans interruption, d’être au plus près d’elle pour l’accompagner. Hélas, nous sommes obligés de la laisser seule dans sa chambre pour pouvoir s’occuper des autres… sans compter les urgences ! On peut être appelés pour faire une césarienne et pour cela nous avons besoin de nous mobiliser à plusieurs. Le déséquilibre se fait d’autant plus ressentir dans ces moments-là. Pendant ce temps-là, les autres sont dans l’attente, seules, mises de côté…
Également, certaines femmes ont un projet de naissance plus « physiologiques », sans péridurales par exemple et il faut savoir qu’elles ont besoin de davantage de soutien et d’accompagnement pour gérer la douleur. Or, souvent, nous ne pouvons répondre positivement à leur demande. Cela peut entrainer une sorte de changement de projet pour elle et ainsi elles se retrouvent « contraintes » de faire un accouchement plus « classique », ce qu’elles n’avaient pas prévu initialement.
Qu’en pensez du traitement des femmes à l’hôpital, pendant les soins ou les accouchements ?
Le moment de l’accouchement est l’un des moments les plus forts, important pour les couples. Tout ce qui ne se passe pas forcément comme prévu peut être vécu comme maltraitant ou inapproprié. C’est un événement par définition imprévisible par exemple une hémorragie pendant la délivrance du placenta ne peut pas être toujours anticipée… Et cela est très mal vécu par la femme et plus largement par les conjoints. La clef dans les urgences difficiles c’est la communication, pouvoir bien expliquer aux patientes et à leur conjoint, nos soins, ce qu’il se passe. Je pense que les violences existent en effet, mais qu’elles ne sont pas intentionnelles. Cela résulte plutôt du fait que nous ne sommes pas assez nombreux dans les services, encore une fois. Même si nous essayons de tout faire au mieux, parfois la situation devient presque violente, on peut devenir maltraitant en effet mais tout cela malgré nous. Maintenant je pense qu’il faut faire attention au terme « violence obstétricale » parce que la femme peut vivre l’accouchement comme quelque chose de brutal mais parfois c’est un peu déformé par la réalité de l’évènement et l’important est de communiquer de bien expliquer ce qu’il se passe or, dans l’urgence cela peut s’avérer compliqué. Il faut faire vite et cela peut provoquer des moments traumatisants.
Parallèlement, comment comprenez-vous la revendication, disons cette volonté d’évolution, de demande des femmes, pour un accouchement plus naturel et moins médicalisé ? Voire même ce retour assez significatif des accouchements à domicile ?
Cela va surement avec le fait que l’organisation dans les hôpitaux n’est pas optimale. Nous ne pouvons pas toujours bien accompagner la femme sur le point d’accoucher, parfois elle est livrée à elle-même alors pour essayer de « combler » ce manque humain nous mettons en place des moyens de surveillance à distance, comme le monitoring en continu, on contrôle la tension, on rajoute donc toujours plus d’objets, de machines, pour anticiper un problème au lieu d’être dans la chambre, avec elle. On peut faire une perfusion aussi ou poser un capteur pour la saturation… Si nous pouvions être tout le temps avec la dame nous pourrions enlever le monitoring, et même administrer moins de péridurales… Les femmes ont certainement l’impression d’être, dans ces cas-là, à l’hôpital comme des personnes « malades » puisque nous sommes dans un schéma sur médicalisé. L’idéal serait qu’elles soient dans un certain confort, c’est à dire au sein d’un lieu un peu espacé du milieu médical afin d’être plus sereines pour accoucher. Même dans les mouvements, elles doivent être libres, et suivre leur instinct. Le fait d’avoir le réflexe de la péridurale n’est pas toujours efficient, cela les empêche d’être pleinement conscientes de leur corps et de leurs contractions par exemple…
Justement, accouchée allongée est-ce vraiment naturel ?
Lorsqu’il y a besoin de faire une manœuvre, il est plus aisé qu’elle soit allongée sur le dos… Néanmoins ce n’est pas nécessairement la meilleure position physiologique, celle sur le côté permet de vraiment libérer le sacrum – coccyx au niveau du bassin et cela laisse le plus de place possible pour la tête du bébé. Toute sage-femme par contre écoute la patiente, si elle veut accoucher sur le côté, nous devons suivre ses envies, ses ressentis. Encore une fois, tout est question de communication, d’écoute et d’échange. C’est un équilibre en fait à trouver entre nos conseils et leurs envies dans le travail de l’accouchement.
Comment définissez- vous votre métier, votre rôle ?
Le rôle de la sage-femme est un rôle d’accompagnement, du début de la grossesse jusqu’après, en post partum. De plus, notre objectif est de conseiller la patiente, surveiller la bonne évolution de la grossesse avec des consultations mensuelles. Une fonction de “détection”, pour en effet voir tout de suite une anomalie s’il y en a. De plus, nous devons préparer les femmes à l’accouchement, cela passe par des conseils sur l’allaitement mais aussi sur l’organisation même plus “pratique” avant d’arriver en salle de travail.
Mais la sage-femme a aussi le rôle de suivi gynécologique, même chez les jeunes adolescentes, nous pouvons les orienter, nous pouvons aussi les conseiller au niveau de toutes les contraceptions ou encore faire des bilans IST, examen de prévention. Un suivi jusqu’à la ménopause. Cette partie-là de notre métier est parfois peu connue, disons peu visible mais elle est pour autant aussi importante pour nous. D’autant plus que nous avons de moins en moins de gynécologues, les femmes ont alors beaucoup de mal à trouver des spécialistes, à se faire suivre correctement. Enfin, nous sommes aussi mobilisés pour accompagner les femmes lors d’IVG, nous savons tous que c’est une épreuve grave, lourde sur le plan physique mais aussi et surtout sur le plan psychologique. Il est alors de notre devoir d’être à ses côtés pour la soutenir au maximum. Avant tout, notre rôle c’est d’écouter les femmes.
Ce qui vous rend heureuse dans cette vocation, ce qui donne un sens à votre travail ?
C’était comme une évidence pour moi lorsque j’ai commencé mes études de médecine. Nous avons vraiment l’impression de servir à quelque chose, d’aider les femmes, nous accompagnons le bonheur – même si parfois bien sur cela ne se passe pas comme prévu -. Sans oublier l’adrénaline, c’est indéniable, surtout en salle de naissance. e bonheur de partager avec ces femmes, avec ces familles, à un moment clef de leur vie est très joyeux, galvanisant au quotidien. En plus de cela, nous en apprenons énormément sur les femmes dans notre métier, nous découvrons toujours.
*Les sages femmes revendiquent un statut particulier pour cette fonction avec notamment leur propre grille indiciaire au sein de la fonction publique Hospitalière et de la fonction publique territoriale. Cela leur a été refusé pour le moment. Dans le plan SEGUR, pour les sages femmes, il est question pour le moment de revaloriser leur salaire, de l’augmenter de 183 euros bruts par mois.