Emmanuel Dyens est musicien professionnel. Bercé depuis l’enfance par la musique, il rejoint le conservatoire à l’âge de dix ans, se découvre une passion pour le piano, remplacée à l’adolescence par celle de la batterie en jouant avec ses amis dans un garage. Depuis quinze ans, il compose et accompagne des artistes comme Orelsan, Gims ou Disiz sur leurs tournées respectives.
Comment en es tu venu à travailler pour ces artistes ?
Les rencontres sont fondamentales, il faut aussi certainement un peu de chance. Le premier à m’avoir repéré c’est Disiz, j’avais seulement 19 ans. Je suis devenu son batteur pendant dix ans, une période très enrichissante du point de vue professionnel et musical. Grâce à lui, j’ai fait un bond dans ce milieu, même si parallèlement je perfectionnais la batterie tous les jours.
Comme c’est un petit monde, j’ai été appelé par d’autres productions, d’autres tourneurs. Il faut savoir que les tourneurs sont les employeurs des musiciens, et celui de Disiz était également celui d’Orelsan, mon travail lui a plu et je suis devenu son batteur en 2011. Je le suis d’ailleurs toujours officiellement. Dès que tu rentres dans ce milieu, que tu es jeune, que tu bosses bien, les choses s’enchaînent. Bien sûr les tournées peuvent être très fatigantes mais quand tu as vingt ans tu ne t’en rends pas trop compte, j’étais passionné, à fond, et on m’a rappelé quasiment automatiquement, je n’ai jamais eu à chercher de boulot.
C’est vrai que ça doit être intense d’enchaîner les concerts et les festivals pendant les tournées, ce n’est pas une vie ordinaire.
Oui, ça s’apparente un peu aux gens du cirque qui vivent sur la route. Pour ne rien cacher ce n’est pas forcément évident parce que tu ne rentres pas longtemps chez toi. Tes amis, ta famille te manquent d’autant que quand tu reviens tu es souvent épuisé. Une tournée avec un artiste peut s’étaler sur deux ans ! On n’est pas en concert tous les week-ends, bien sûr, mais c’est un rythme vraiment soutenu.
Aujourd’hui c’est la plus grande pause que j’ai eu à faire, depuis mars je n’ai pas été en concert. Le seul aspect positif de cette période c’est qu’on peut aller au bout de ses objectifs, notamment pour la composition.
Est ce que la composition t’a permis de ne pas lâcher la musique depuis l’arrêt des concerts en mars dernier ?
Je n’ai fait que ça, quand je suis en tournée je compose sur la route, avec mon ordi, et quand je rentre je n’ai jamais assez d’énergie pour finir mes créations. En ce moment, j’arrive à faire aboutir certains projets, à organiser des tournages pour des clips, je n’ai pas trop à me prendre la tête sur mon planning (rires)
De nombreux artistes ont eu une belle période de motivation pour créer, mais à la fin la solitude a commencé à peser.
Je pense que ce confinement a modifié beaucoup de choses. Les artistes étaient habitués à créer à certains moments de leur vie et ne s’attendaient pas à être seuls pendant aussi longtemps. C’est particulier, on se nourri des choses qu’on vit à l’extérieur, lorsqu’on en est privés, forcement il y a des pannes d’inspiration. Nous ne sommes pas faits pour rester si longtemps coupés des autres.
En août, l’État a débloqué une aide de 432 millions pour le spectacle vivant, est ce qu’en tant qu’intermittent du spectacle tu en as bénéficié ?
Personnellement non. Pour deux raisons, d’abord, je n’ai pas vraiment cherché à les récupérer, parce que j’étais en colère, on galérait depuis mars et ils se sont préoccupés de notre sort en Août. Et l’autre raison c’est qu’avec l’intermittence, je ne pouvais pas cumuler parce que « je touchais suffisamment de chômage », pourtant je ne roule pas sur l’or.
Mi-novembre l’État a proposé au monde du spectacle vivant de reprendre les répétitions sans public, qu’en penses-tu ?
Il y a eu un petit élan après ce moment-là, mais c’est un peu fourbe. On peut se voir, répéter, mais pour quoi ? Je fais de la musique pour la partager avec un public, je ne fais pas ça pour me retrouver enfermé dans un studio pendant des heures. Si je n’ai pas ce partage, je n’ai pas la motivation qui suit.
Es tu optimiste pour la reprise des concerts ?
J’ai été tellement déçu l’année dernière, que je ne me projette plus. Lorsque c’est arrivé j’étais en pleine tournée avec Oxmo Puccino et tout est tombé à l’eau ! Ca n’a même pas été reporté, juste annulé. Pour la reprise des concerts j’y crois, j’ai envie d’y croire, je mise davantage sur un public assis. Si je devais aller vendre mon projet, je penserais à des salles comme les centres culturels, les théâtres. Pour moi c’est ce qui repartira en premier, la musique actuelle comme le rap, j’ai bien peur que ça ne soit pas pour tout de suite.
Je me projette moins, je me concentre sur mes chansons, je n’ai même pas envie de dire que ça repartira, ce qu’on a vécu avant c’est du passé, pour moi les concerts se vivront différemment maintenant.
Justement il a de plus en plus de concerts en ligne, qu’en penses-tu ?
Je suis à des années lumières de tout ce qui se fait sur les réseaux ! Je ne sais pas du tout me vendre, c’est une amie, que je rémunère d’ailleurs, qui s’occupe de mes réseaux sociaux : ajouter mes story, poster les annonces pour mon boulot. M’imaginer faire un concert en ligne, ça ne me donne vraiment pas envie, mais ça reste très personnel, pour moi un concert, c’est une personne en face de toi, des vibrations, des regards, des sourires.
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