Le monde agricole souffre. Les éleveurs sont noyés sous les charges et se sentent délaissés par les politiques. Pour certains agriculteurs, le seul moyen de survivre est de cumuler deux emplois.
Pourquoi avoir choisi le métier d’agriculteur ?
Je suis né dans la ferme familiale et c’est naturellement que j’ai pris la succession de mes parents. Je n’ai, d’ailleurs, pas fait d’études spécifiques, et finalement je crois que l’on apprend en les observant travailler et en participant aux diverses tâches agricoles. Concernant la reprise de l’activité familiale, à mon époque, les anciens avaient des primes lorsque leurs enfants reprenaient l’exploitation, c’est donc comme cela que j’ai reçu la ferme lors du départ en retraite de mon père.
En quoi consiste votre métier, que produisez-vous ?
Auparavant, je produisais du lait grâce à des vaches laitières avec des obligations sanitaires moins drastiques que de nos jours.
Les nombreuses normes actuelles m’auraient contraint à m’engager dans des investissements très importants qui comptaient notamment du matériel, des infrastructures comme des fosses et des salles de traites. J’ai donc dû inverser mon quota en lait, en vaches allaitantes, afin de changer ma production pour vendre uniquement des bêtes sur pieds à des marchands de bêtes (maquignons bovins). Les vaches sont vendues entre sept à huit mois, que ce soit les mâles ou les femelles. Il m’arrive selon les cycles de céder plusieurs veaux également.
Si l’on en croit les retours de votre profession, le métier d’agriculteur est difficile. Comment voyez-vous l’évolution de ce milieu ?
Je dirai que ce qui me fait continuer ce métier, c’est le fait de travailler à l’extérieur, d’être en contact avec mon élevage, de pouvoir faire mes cultures.
Maintenant que j’ai changé ma production, j’ai moins d’inconvénients, comme lorsque je devais faire la traite des vaches tôt le matin, les emmener dans les champs, puis les rentrer le soir à l’étable, et cela quotidiennement.
Même si les horaires sont encore parfois contraignants et me font finir tard le soir, j’ai un rythme de vie plus agréable.
Mon principal problème est que le salaire issu de mon travail agricole, n’est plus suffisant pour subvenir à nos besoins et ce, depuis l’augmentation du nombre de charges à payer. Je me suis alors résigné à exercer un autre emploi en parallèle. Je travaille à l’usine, ce qui veut dire que je commence à 5H et que je termine à treize heures. Cela me laisse ainsi du temps pour travailler à la ferme le reste de la journée.
Comment expliquez-vous ce problème de rémunération décente ?
Les charges agricoles sont élevées et nombreuses, il faut cotiser à la MSA (Mutualité Sociale Agricole), souscrire à des assurances pour l’exploitation et le matériel, et toutes les bêtes doivent être assurées et enregistrées. Il faut, par ailleurs, acheter en double les boucles d’identifications pour chaque animal. Les contrôles réguliers coûtent chers et les interventions des vétérinaires sont évidemment facturées. Les impôts fonciers pèsent également dans la gestion du budget. Un deuxième travail me permet aussi de financer ma retraite car celle de petit exploitant agricole ne me laisse guère le choix. Je suis allé à Paris avec plusieurs autres agriculteurs locaux pour la manifestation du 5 décembre contre le projet de la réforme des retraites.
Comment changer la donne ?
Il est devenu difficile pour moi de vivre de l’agriculture parce que je ne possède que 27 hectares. Cette superficie est trop petite, il me faudrait au moins 100 hectares pour me permettre de vivre convenablement de mon agriculture. Il y a aussi le prix du matériel, du gasoil pour un tracteur, l’achat de graines de maïs, les médicaments, et tout cela accumulé, fait beaucoup pour un petit agriculteur.
L’économie Européenne de Bruxelles aide les grands groupes agricoles, les grandes fermes, mais moi je ne touche presque pas de subventions.
Également, Le prix des médicaments et des soins ne sont pas remboursés. Lors d’un vêlage pour un veau d’une valeur marchande de 800 euros, 500 euros sont dépensés pour une césarienne si la vache n’arrive pas à mettre bas. Évidemment, l’appel au vétérinaire n’est pas obligatoire, seulement j’y suis obligé pour éviter de perdre le veau et éventuellement la mère. Suite à son passage je ne gagne rien, et je dirai même que je suis perdant.
A nos débuts, mon épouse s’est lancée dans l’élevage de chèvres pour vendre le lait destiné à la fabrication du fromage. Nous avons commencé avec quinze chèvres, puis nous avons rapidement augmenté l’effectif à une centaine. Cela était rentable car le lait de chèvre était assez bien payé par les coopératives à l’époque mais pour continuer il aurait fallu emprunter pour agrandir la bergerie mais les banques ne suivent pas de petits exploitants comme nous.
Quelle différence y a-t-il entre le prix de vente de l’exploitant et celui de la grande distribution ?
En ce qui concerne le prix d’achat de mes animaux, une vache de six mois se vend 800 euros, elle fait 400 kilos, et c’est là que nous pouvons nous rendre compte du bénéfice que se font les intermédiaires que sont les abattoirs et la grande distribution. Pour les vaches plus âgées, j’en ai vendu une récemment, une fois découpée, il restait 300 kilos de viande. J’ai dû la vendre 700 euros, ce qui fait environ 2 euros 30 centimes le kilo vendu 10 euros en grande surface. Autre paramètre, il faut compter avec le grand nombre d’importations de viandes étrangères.
Également, tout n’est pas comptabilisé dans le prix de vente. Les abattoirs ne nous payent que le poids de la viande. En ce qui concerne les abats, la langue, le foie, la peau, c’est de la perte nette pour l’agriculteur mais pourtant revendus cher en magasin.
Connaissez-vous d’autres agriculteurs qui doivent eux-aussi, avoir un double-emploi pour subvenir à leurs besoins ?
Oui par exemple, les compagnes d’agriculteurs doivent partir travailler en dehors de la ferme et c’est le cas dans beaucoup d’exploitations. Également, je connais quelques agriculteurs qui sont obligés de cumuler deux emplois pour subvenir à leurs besoins.
De plus en plus d’exploitations ferment leurs portes pour cause de faillite, comment enrayer le processus ?
Oui, effectivement parce que les différents intermédiaires que sont les coopératives, les abattoirs, et l’industrie agroalimentaire nous incitent à en faire toujours plus, à produire davantage, mais ce ne sont pas les coopératives agricoles qui vont payer tous les frais, ce sont nous, les agriculteurs et nous sommes déjà en grande difficulté.
Beaucoup achètent un nouveau tracteur, de ce fait le voisin en achète un encore plus cher, plus performant, et cette stupide concurrence entre exploitants peut faire beaucoup de dégâts financièrement. Un grand nombre d’agriculteurs agissent de la sorte pour travailler plus vite, mais dans de nombreux cas, ce n’est pas nécessaire. Pour éviter de fermer son exploitation, il faut essayer d’investir intelligemment, il est parfois préférable de faire appel à un entrepreneur, même si cela a un coût comme pour les moissons par exemple. Nous évitons alors de faire des emprunts à la banque, et de nous endetter en achetant du matériel. Car oui, de très nombreux agriculteurs se sont endettés, et n’arrivent plus à relever la tête. Dans la commune, nous essayons au maximum de nous entre-aider entre voisins que ce soit pour les travaux, ou pour s’occuper du bétail lors de l’absence des uns ou des autres. Nous sommes solidaires entre agriculteurs.
Avez-vous des conseils pour un jeune qui souhaiterait devenir exploitant ?
Il faut avoir du cran, les reins solides et l’amour de la nature. De toute façon, maintenant une année d’école est obligatoire, ce qui permet de se faire une idée. Il faut également avoir un bon nombre d’hectares pour pouvoir bien en vivre, comme je te disais tout à l’heure au moins 100 hectares, voire 150 même. Pour faire du lait, au moins 80/100 vaches allaitantes. Avec 25 vaches, je ne peux pas en vivre.
Le développement de l’agriculture biologique peut-elle être le salut à venir ?
Se lancer dans le bio n’est pas la bonne réponse, en effet, il faut attendre de longues années pour que le terrain soit utilisable. On nous parle de trois ans sans résidu de pesticides alors qu’il faut réellement compter dix ans pour en faire une terre « saine ». Prenons l’exemple d’une abeille qui va butiner dans un champ bio puis dans un autre qui ne l’est pas, et au final la production de miel sera vendue comme bio, et ça les gens n’y pensent pas. Mais c’est la réalité. Pour moi le bio n’existe pas. En effet, il n’existe pas de barrière, même naturelle entre une exploitation dite de culture biologique et une ferme utilisant des produits chimiques tels que les insecticides, les herbicides, et les fongicides.
Article écrit par Thomas LE TETOUR.
tu as entièrement raison Gérard