En France, le monde agricole ne cesse d’animer les débats. Chaque jour, de nombreux articles de presse, et émissions de télévision témoignent des conditions de vie des agriculteurs. Certains artistes s’emparent même du sujet : dernier en date Guillaume CANET qui, dans le film « Au nom de la terre », témoigne de la détresse des éleveurs. Nous avons souhaité recueillir les témoignages d’agriculteurs comme celui de Gérard GUILLEMOT[1], mais également de professionnels des secteurs annexes. Rencontre avec Adrien G. entrepreneur vannetais spécialisé dans le secteur de l’agritourisme :
- Vous êtes le fondateur de la plateforme AgriVillage, pouvez-vous en rappeler le concept ? Quels en sont les objectifs ?
AgriVillage est une plateforme dédiée à l’agritourisme permettant à des particuliers de séjourner chez des agriculteurs avec la garantie de découvrir leur métier à travers une expérience unique (balade en tracteur, traite des vaches, dégustation de produits locaux). AgriVillage a pour objectif de renforcer les liens entre le monde agricole et urbain. Il est nécessaire de permettre aux agriculteurs de communiquer sans intermédiaire sur leur métier, afin qu’ils puissent expliquer leur quotidien. Ces femmes, et ces hommes sont les super-héros des temps modernes !
La dévalorisation sociale, et le surendettement : deux facteurs auxquels les agriculteurs doivent faire face
- Pourtant, le constat est sans appel : un agriculteur se suicide tous les jours … Comment expliquez-vous ce phénomène dramatique ?
Deux phénomènes sont à l’origine du suicide des agriculteurs français. Le premier est la dévalorisation sociale. À tort, les exploitants sont constamment pointés du doigt, comme des pollueurs, des empoisonneurs, ou des individus maltraitant leurs animaux. Le deuxième phénomène ? Le surendettement. Comme évoqué dans le film « Au Nom de la Terre », de nombreux producteurs sont poussés à investir davantage dans leur exploitation pour avoir un meilleur rendement. Néanmoins, la volatilité du marché agricole peut faire que la récolte soit moins bonne, et les agriculteurs n’arrivent alors plus à rembourser ; un cercle vicieux s’enclenche.
- Dans votre métier, vous rencontrez de nombreux éleveurs, quel ressenti ont-ils sur leur situation actuelle ?
Effectivement, je rencontre aujourd’hui, de plus en plus d’agriculteurs inquiets. Cette inquiétude découle de l’agribashing, un phénomène poussé par les médias et les politiciens qui consiste à donner une image dégradante des exploitants. Je ressens également de l’anxiété quant à leur retraite. D’ici trois ans, 40% des agriculteurs seront concernés sans repreneurs potentiels. En effet, de moins en moins de fils d’agriculteurs, confrontés depuis l’enfance à la difficulté du métier, ne souhaitent reprendre le flambeau.
- Quelles solutions existent pour que les agriculteurs s’y retrouvent financièrement ?
L’économie collaborative est l’un des principaux enjeux afin que les agriculteurs s’y retrouvent. De nombreuses structures telles que des associations, ainsi que des start-up prennent position pour améliorer leur niveau de vie et certaines plateformes sont dédiées aux projets agricoles, permettant un financement participatif. Enfin, d’autres permettent d’augmenter la vente directe, ou alors de séjourner dans une exploitation autour de la découverte d’une activité agricole.
- Agritourisme, vente directe, location de matériels … Est-ce réellement vivable pour les agriculteurs de cumuler plusieurs activités en parallèle de leur exploitation ?
Un agriculteur doit vivre de son métier, il en va de la survie de la population. Les producteurs doivent continuer à s’adapter à la demande des consommateurs, c’est-à-dire produire moins mais de meilleure qualité ; ce qui leur permettra, pourquoi pas, d’augmenter leur vente directe. L’agritourisme est un moyen pour faire face aux variations du marché afin de s’assurer un revenu parallèle durant les années difficiles.
La technologie s’installe dans le milieu agricole
- Peut-on lier l’agriculture et le numérique pour favoriser le travail des éleveurs ?
Évidemment ! Selon moi, l’agriculture est le secteur le plus impacté par l’évolution technologique. C’est maintenant avec l’air de la data que les agriculteurs travaillent leur rendement. Par exemple, les exploitants peuvent utiliser un drone leur permettant de mesurer le taux d’azote à répandre dans les champs, dans un souci de développement durable ; cela leur permet de couvrir seulement les endroits nécessaires, et donc de faire des économies. Il est aussi de plus en plus commun de voir les agriculteurs sur YouTube afin de promouvoir leurs produits, ou évoquer leur métier.
- Qu’est-il mis en œuvre par l’État afin de soutenir les agriculteurs ?
À l’échelle européenne, il existe la PAC (Politique Agricole Commune, ndlr), et à l’échelle régionale, les chambres d’agriculture. Néanmoins, un point me chagrine, c’est le manque d’éducation. Aujourd’hui, j’estime que les écoles françaises souffrent d’un manque pédagogique en ce qui concerne l’agriculture. Il n’est pas normal que si peu de jeunes souhaitent devenir agriculteur …
Ndlr : Entrée en vigueur en 1962, la Politique Agricole Commune est fondée sur des mesures de contrôle des prix et de subventionnement, visant à moderniser et développer l’agriculture.
- Aujourd’hui, qu’en est-il de l’agriculture française, et plus particulièrement bretonne ?
En agriculture, nous devons faire face à de nombreux aléas : géopolitique, météorologique, social et environnemental. Pour faire face à cela, l’Europe a mis en place un fond européen, la PAC comme je le disais précédemment, pour essayer de stabiliser ces fluctuations et permettre aux agriculteurs d’investir plus sereinement. À la suite du Brexit, la PAC va être renégociée au cours de l’année 2020, un moment charnière pour l’avenir de l’agriculture française. Le choix de l’Union européenne me semble d’ailleurs très étonnant ; créer un contrat de libre-échange par le biais du CETA (entre le Canada et l’UE, ndlr) et du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay et l’UE, ndlr) alors que cela défavorise nettement notre agriculture … En Bretagne, nous avons la chance d’être peu touchés par la sécheresse et les aléas climatiques. Il est donc certain que notre région se voit annoncer un futur prometteur. La crise de la peste porcine en Europe de l’Est ainsi qu’en Asie, a nettement fait remonter le cours mondial, permettant aux agriculteurs de mieux vendre en 2019 ; la Bretagne étant une région porcine, en a largement profité. En espérant que cela perdure …
Ndlr : Septembre 2017, le CETA entre en vigueur, il réduit drastiquement les barrières tarifaires et non-tarifaires aux échanges commerciaux ; lié également à l’exportation des biens, et des services. Depuis 2000, des accords de libre-échange se négocient entre l’Union européenne, et les pays du Mercosur.
[1]Gérard GUILLEMOT – agriculteur breton interviewé par Thomas LE TÉTOUR – interview à retrouver très prochainement.
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