Projet de loi sur la fin de vie : à bout de souffle

Alors que la société française se prononce majoritairement en faveur d’une aide active à mourir, le projet de loi, initialement prévu pour mai 2024, reste en suspens. Dissensions politiques, enjeux économiques et tensions éthiques freinent l’adoption d’un texte pourtant attendu. À cela s’ajoute le choix contesté du gouvernement de scinder le projet en deux volets distincts : d’un côté, le développement des soins palliatifs ; de l’autre, la légalisation de l’aide à mourir. Une division perçue par certains comme une manœuvre dilatoire, quand d’autres y voient une tentative d’apaisement dans un débat moralement chargé.

Un projet de loi ambitieux mais suspendu

Présenté en avril 2024, le projet de loi propose une aide à mourir strictement encadrée pour les personnes majeures atteintes de maladies graves et incurables, subissant des souffrances insupportables, avec un pronostic vital engagé à court ou moyen terme. Il prévoit également un plan décennal pour les soins palliatifs, doté de 1,1 milliard d’euros supplémentaires, visant à créer des unités spécialisées dans chaque département et à développer des « maisons d’accompagnement » pour les patients en fin de vie. Une enveloppe dont les hôpitaux ont cruellement besoin. Pour Delphine, aide-soignante en gériatrie à l’hôpital de Vannes, c’est une avancée nécessaire : « On voit des patients qui demandent à partir. Certains ont tout vécu. Ce n’est pas à nous de juger. Il faut simplement que le cadre soit clair, strict, et que personne n’agisse seul. » Cependant, la dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024 a interrompu l’examen du texte. Depuis, le gouvernement a exprimé sa volonté de reprendre le dialogue sur ce sujet sensible. Le journal « Le Monde » appelle à la reprise du débat sur la fin de vie, soulignant l’importance de remettre ce sujet à l’ordre du jour, compte tenu du soutien public massif et malgré les oppositions politiques et institutionnelles.

Des voix divergentes sur la méthode

La proposition de François Bayrou de scinder le projet de loi en deux textes distincts, l’un sur les soins palliatifs et l’autre sur l’aide à mourir, a suscité des critiques. Claire Thoury, présidente du comité de gouvernance de la Convention citoyenne sur la fin de vie, a exprimé sa surprise, soulignant que cette approche allait « à rebours » des recommandations des citoyens, qui prônent un texte unique traitant conjointement les deux aspects. Tout comme Catherine Vautrin, ministre de la Santé qui plaide également pour le vote d’un seul texte. Par ailleurs, près de 200 élus, dont la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet, ont appelé le Premier ministre à ne pas dissocier les soins palliatifs de l’aide active à mourir, estimant que ce serait une « erreur ».

Une séparation qui divise

Du côté des professionnels de santé, les positions varient. Claire Fourcade, médecin et présidente de la SFAP depuis 2019 s’est confiée au Figaro définissant l’euthanasie comme “un retour en arrière”. Pour elle, “donner la mort n’est pas un soin”. Selon la société, cette dissociation créerait une forme de confusion, voire de contrainte politique pour les parlementaires. « Déjà, au niveau de la SFAP, on estimait que c’était assez incohérent, parce qu’on savait que des députés qui étaient pro-développement des soins palliatifs, s’ils voulaient voter, allaient voter aussi sur le débat sur l’euthanasie, alors que ce n’était pas forcément leur souhait. » explique Anne-Marie Colliot, chargée de mission et déléguée générale de la SFAP. Une remarque qui illustre les dilemmes que cette approche fragmentée peut générer, entre convictions personnelles, position institutionnelle et stratégie législative. Cette séparation en deux volets, pourtant critiquée par de nombreuses voix politiques et citoyennes, trouve aussi des partisans, notamment parmi certains soignants, pour qui distinguer les deux sujets permettrait de clarifier les intentions et les dispositifs. « Ce sont deux choses bien distinctes, il me semble essentiel de les différencier. », estime Catherine, infirmière en gériatrie à l’hôpital de Vannes, insistant sur la nécessité de traiter les soins palliatifs comme un sujet autonome, non réduit à la question de la mort. Elle ajoute : « Quand on parle de soins palliatifs, ça n’entraîne pas forcément que la mort. ». D’autres témoignages rappellent combien l’expérience du terrain est marquée par des réalités humaines difficiles. « C’est un accompagnement. Il y a des patients qui sont sédatés, que nous, on trouve paisibles. Et parfois, la famille ne supporte pas de voir son proche dans cet état-là », confie Delphine. Elle poursuit : « Ça nous arrive d’avoir des patients en fin de vie qui sont là pendant quatre, cinq, six jours et la famille n’en peut plus, c’est trop long. ». Certaines inquiétudes révèlent aussi des dérives possibles, notamment en cas de pressions familiales ou de mésententes autour des successions : « On voit des conflits entre fratries, avec de mauvaises intentions, parfois des héritages en jeu. Il ne faudrait pas que ce soit dans ce but-là », s’inquiète Delphine. Une crainte qui souligne le besoin d’un cadre juridique rigoureux, protecteur, et surtout bien accompagné.

Les leçons de l’étranger

Ces questionnements sont renforcés par l’observation des évolutions à l’étranger. En effet, au sein de certains pays des législations similaires ont été mises en place « On voit bien en Belgique que le fait d’avoir ouvert une petite porte qui était exclusivement pour les patients dans une situation extrême, aujourd’hui on ouvre cette porte beaucoup plus large puisqu’on atteint le champ du handicap, de la psychiatrie et aussi le champ du mineur », observe Anne-Marie Colliot. Cette extension progressive des critères d’accès, constatée également au Canada ou au Québec, alimente les inquiétudes en France. « Ce que l’on nous vend au niveau français serait quelque chose de très très encadré, très restreint, mais tous les pays qui sont allés sur ce terrain là, comme le Canada ou le Québec et la Belgique, ont ouvert à d’autres choses après. »
Les soignants eux-mêmes expriment des doutes, voire des résistances : « J’ai des collègues infirmières qui, par exemple, ne vont pas forcément être d’accord avec ce projet de loi, de se dire que c’est elles qui vont mettre l’injection qui va faire mourir la patiente. Ça, par contre, ça peut être difficile pour elles. » souligne Delphine.

Entre encadrement et zones grises

Enfin, certains insistent sur la diversité des situations cliniques et des pathologies, qui rendent toute généralisation délicate. « Il y a des maladies incurables, avec des douleurs et des désagréments importants, et tu ne peux pas comparer ça par exemple à une personne de 95 ans qui est en fin de vie… Quel est l’intérêt de le laisser agoniser ? ». Avant d’ajouter : « Je parle notamment de la maladie de Charcot, certes, c’est une maladie incurable, mais au début, tu peux encore faire plein de choses. Alors où place-t-on la ligne ?». Face à des situations aussi singulières, prétendre qu’une seule loi puisse tout encadrer relève presque de l’impossible. Il reste extrêmement difficile de faire entrer une réalité aussi complexe dans le cadre d’une loi uniforme, même si le traitement au cas par cas n’est pas envisageable.

Le député Olivier Falorni, fervent défenseur du texte initial, a déposé une proposition de loi pour relancer le débat. Soutenu par 180 parlementaires, il veut éviter que « des millions de Français restent sans réponse à une question fondamentale : peut-on choisir de mourir dans la dignité ? ». Alors que la société évolue, que la parole se libère et que les familles s’interrogent, la politique, elle, piétine. Si le texte est finalement examiné en 2025, il devra dépasser les clivages pour répondre à une double urgence : éthique et humaine.

Ndlr : dispositif de démocratie participative

Ndlr : Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs

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