TSA, TSI : Troubles du Spectre Autistique, Trop Souvent Incompris ?

Il fut un temps où l’autisme était réduit à des clichés. Perçu soit comme une maladie, soit comme un trouble incurable enfermant les personnes dans un monde inaccessible. Mais aujourd’hui, consciences collectives et connaissances scientifiques ont progressé. On ne parle plus de « l’autisme » comme d’un état figé, mais de troubles du spectre de l’autisme (TSA), aux manifestations variées et aux besoins multiples. Mais la prise en charge est-elle à la hauteur des attentes ?

Pour Marine, mère d’un enfant confronté aux TSA, il est compliqué de s’y retrouver et de faire face au quotidien. Des écoles inadaptées, en manque de professionnels formés, en incapacité d’accueillir et d’appréhender l’autisme sur leurs bancs empêchent ces enfants aux besoins particuliers de s’épanouir et de se sentir à leur place. A ce parcours scolaire compliqué s’ajoute un suivi médical pouvant s’apparenter à un véritable parcours du combattant.

« En France, les familles d’enfants autistes se heurtent à un système fragmenté ». Parce qu’en effet, au-delà du paysage scolaire, des tensions existent également entre les différentes approches thérapeutiques, dont les familles sont les premières victimes. Le corps médical se trouve fractionné face à l’autisme, on s’y perd.

À force de rendez-vous, de listes d’attente interminables et de démarches administratives labyrinthiques, Marine a appris à jongler entre psychiatre, psychologue, orthophoniste, ergothérapeute, et maintenant éducateur spécialisé. « J’ai parfois l’impression d’être DRH de mon propre fils », confie-t-elle, fatiguée. Elle regrette surtout l’absence de coordination entre les professionnels. « Chacun fait sa part, mais ils ne se parlent jamais. Mon fils, lui, reste au milieu, comme un projet sans chef d’orchestre. »

Autisme et traitement médical

En France, la psychanalyse a longtemps dominé avec ses théories controversées sur la relation mère-enfant, considérant l’autisme comme un trouble émotionnel et affectif plutôt que neurologique. Aujourd’hui, les recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS) privilégient des méthodes comportementales, c’est-à-dire identifier et modifier les comportements inadaptés et en expliquer de nouveaux aux patients, mais leur accès reste inégal.

Longtemps cantonné à une image figée, l’autiste mutique, perdu dans son monde, on sait aujourd’hui que ce trouble est décrit comme un spectre, une large palette de manifestations plus ou moins invalidantes. « On ne parle plus d’un type unique d’autisme, mais de degrés d’intensité et de particularités qui varient selon les individus », explique le Dr. Morel, médecin généraliste qui suit plusieurs patients autistes. « Cette approche permet une meilleure adaptation des soins, en théorie. »

« Quand j’étais gamin, on me disait juste que j’étais bizarre. Maintenant, on me dit que je suis autiste. Mais franchement, je ne sais pas si ça change grand-chose ». Lucas, 22 ans, soudeur en Bretagne a été diagnostiqué tardivement. Il a grandi sans accompagnement spécifique, oscillant entre échec scolaire et petits boulots où il peinait à s’intégrer. « Les gens pensent qu’autiste, ça veut dire Rain Man ou génie des maths. Moi, je galère juste à parler avec mes collègues. »

Lucas, lui, n’a été diagnostiqué qu’à 18 ans, suite à un burn-out scolaire. « J’étais bon en atelier, mais dès qu’il fallait faire des exposés ou gérer les stages, je vrillais. » C’est un éducateur d’un CFA qui lui a mis la puce à l’oreille. « Il m’a dit : ‘Tu ne serais pas un peu atypique, toi ? » Un diagnostic tardif qui n’a pas changé sa vie du jour au lendemain, mais lui a permis de mieux se comprendre. « Maintenant, je sais que je ne suis pas juste un mec bizarre. Ça aide un peu. » Pourtant, il reste lucide sur le chemin à parcourir : « Ce serait bien qu’on arrête de parler des autistes comme d’un problème à régler. On est juste des gens. »

Le diagnostic adulte, bien que de plus en plus accessible, reste marginal. Il faut souvent frapper à plusieurs portes, subir des bilans longs et coûteux, parfois non remboursés. « Et encore faut-il vouloir comprendre ce qui cloche », ajoute Lucas. « Parce que dans certains boulots, mieux vaut se taire. Tu n’es pas là pour avoir des particularités, tu es là pour produire. »

Un regard qui évolue, mais des clichés persistants

Si le terme de trouble du spectre de l’autisme (TSA) s’impose dans le milieu médical et associatif, il peine encore à se traduire dans l’espace public. Les médias oscillent entre deux extrêmes : l’autiste surdoué, version Silicon Valley, et l’autiste en grande détresse, incapable de communiquer. « Il y a encore trop peu de place pour ceux qui sont entre les deux, c’est-à-dire la majorité », regrette Marine, son fils ne présentant aucune déficience intellectuelle mais une grande difficulté sociale. « Il n’est pas génial en maths et il n’a pas non plus besoin d’un accompagnement 24h/24. Il est juste lui. Mais ça, personne ne veut l’entendre. »

Cette représentation binaire se reflète aussi dans les décisions politiques. Alors que l’inclusion des enfants autistes en milieu scolaire est vantée comme une priorité nationale, les moyens peinent à suivre. « Une inclusion mal préparée, c’est pire que pas d’inclusion du tout », assène Marine. Son fils a enchaîné les établissements sans jamais trouver sa place. « Il a fallu se battre pour une AVS (AESH maintenant, mais le sigle change plus vite que les moyens !). Et une fois qu’on l’a eue, elle n’était pas formée à l’autisme. »

Un traitement politique en demi-teinte

Depuis le premier Plan Autisme, programme gouvernemental visant à faire l’état des lieux et légiférer l’autisme, en 2005, plusieurs réformes ont vu le jour, avec un objectif affiché : sortir la France de son retard en matière de prise en charge. Mais sur le terrain, le constat reste amer. « Les discours politiques mettent en avant l’inclusion et l’autodétermination, mais les familles, elles, continue leur parcours du combattant », pointe le Dr. Morel.

La question du financement des méthodes recommandées est un autre point de friction. Si la HAS a validé des approches comme l’ABA ou le Denver Model, méthodes pour appréhender l’autisme par l’éducation et le traitement comportemental, leur mise en place reste complexe. « Ces méthodes coûtent cher, et leur prise en charge est encore trop partielle », souligne Marc Lefebvre, psychologue spécialisé en neurodéveloppement. « De nombreuses familles se retrouvent à devoir payer des séances privées ou se tournent vers des structures associatives qui tentent de combler les lacunes du système. »

Un espoir malgré tout ?

Les mentalités changent, lentement. Mais derrière les discours officiels et les jolis termes comme « spectre » et « neurodiversité », la réalité est plus complexe. Parce que ce qui manque encore aujourd’hui, ce n’est pas la théorie. C’est l’application.

Le Dr. Morel confirme : « Le parcours de soin des patients autistes est souvent discontinu. La faute à un système encore cloisonné entre le sanitaire, le médico-social et l’éducation nationale. On manque cruellement de plates-formes de coordination réellement opérationnelles. »

Dans ce contexte, les familles les mieux informées s’en sortent mieux. « C’est une inégalité de plus : entre ceux qui savent lire les codes du système et les autres », déplore le psychologue Marc Lefebvre.

Les oubliées du spectre

Un autre angle mort du système, ce sont les femmes et filles autistes. Leurs symptômes sont souvent moins perceptibles, parfois camouflés par un comportement d’imitation sociale, parfois faisant face à une pression toute autre. Invisibilisée, la femme serait « trop belle pour être autiste », mais trop spéciale pour être normale. On crie vite à l’hystérie, à la folle du village, sans prendre au sérieux les TSA potentiels.

« Les filles apprennent très jeunes à ‘faire semblant’ », explique Florence, neuropsychologue. « Elles masquent leurs difficultés, mais à quel prix ? Burn-out, anxiété, dépression. »

Une prise en charge qui peut s’avérer compliquée pour une femme autiste. Entre commentaires sexistes, réflexions invalidantes et remises en question de diagnostics clairs et posés depuis plusieurs années, le bilan s’avère d’autant plus compliqué pour elles.

Et maintenant ? Vers une révolution douce ?

Les choses bougent, malgré tout. Une quatrième Stratégie nationale autisme a été lancée en 2023, avec la promesse d’un dépistage dès 18 mois, plus de formation pour les professionnels, et le développement de maisons de l’autisme dans tout le pays. Mais pour Lucas, Marine, son fils et tous les autres, il n’est pas question d’attendre encore vingt ans.

 

Psychologue ou psychiatre ? On confond souvent.

La psychiatrie est une spécialité médicale. Un psychiatre est donc un médecin : il peut poser un diagnostic médical, prescrire des traitements médicamenteux, et suivre des patients atteints de troubles mentaux, comme les TSA.

Le psychologue, lui, a une formation universitaire en psychologie (master 2 minimum). Il ne prescrit pas de médicaments, mais il évalue, accompagne, soutient. Il utilise des tests cognitifs, des entretiens cliniques ou des méthodes thérapeutiques pour aider ses patients à comprendre et à gérer leurs difficultés.

 Dans le cadre de l’autisme, les deux métiers sont complémentaires. Mais attention : seul un psychiatre ou un centre de diagnostic peut officiellement poser un diagnostic TSA.

 

Image d’illustration de La Manufacture, Sciences-Po Lille

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