Crises économiques, crises sanitaires, sécheresse, mais également solitude et suicides, la liste noire des agriculteurs est longue comme un jour sans pain. Un difficile état des lieux pour un monde agricole en souffrance…
Certes, les politiques en parlent, les médias aussi, sans compter les syndicats, mais qu’en est-il réellement ? Pour reprendre une terminologie purement technocratique cette catégorie socio-professionnelle enregistre le plus grand taux de suicides en France. Pour autant, une des principales préoccupations des agriculteurs est peut-être le climat « Nous avons des années de plus en plus sèches et on en vient même à se demander s’il ne faudrait pas décaler les travaux agricoles durant l’année ». Les chiffres parlent d’eux-mêmes « moins 25 % d’irrigation, c’est un jour sur quatre sans eau. Conséquence : une perte en rendement supérieure d’au moins 25 % et aussi une perte de qualité avec des fruits de plus petit calibre ». Marc Fratantuono, ingénieur à la chambre d’Agriculture se dit préoccupé par la conjoncture et les maraîchers sont particulièrement impactés par cette sécheresse. Ludovic Combacal, producteur d’artichauts dont la saison vient de commencer est d’ores et déjà touché par la sécheresse et en attendant il arrose bien que selon lui, l’eau de pluie reste essentielle « l’eau est toujours moins bien distribuée qu’une pluie et d’une qualité moindre.» L’alimentation des animaux requiert également une attention toute particulière « Dès le mois de mai, on doit utiliser les terres au loin, avancer les dates de récoltes. L’été dernier nous avons commencé à partir du huit août alors qu’en temps normal on commence plutôt fin septembre début octobre. Les stocks de nourriture sont très bas. »
Certaines professions auxquelles on pense moins en subissent également les conséquences… Marion CHARIOT, gérante de centre équestre ajoute qu’en plus de la sécheresse, les granulés et les floconnés sont passés de douze euros le sac de 25 litres à dix-huit euros en très peu de temps. « Cela devient très compliqué de nourrir les chevaux » sans compter le coût de l’entretien qui a aussi augmenté « le bois pour les clôtures ou les poteaux.» Autre problème, ces professionnels sont tributaires des prix négociés sans cesse par la grande distribution. Coline Sovran, membre du mouvement Terre de liens, aide les paysans bio et dénonce lors du Talk France info dumardi 28 février, une « prise en étau » des producteurs entre « l’amont de la production – les machines, les semences – et l’aval avec toute la partie transformation et distribution ».
Bras de fer inégal
« Des industriels » qui selon elle imposent « des pratiques, des normes, qui font qu’aujourd’hui certains agriculteurs sont effectivement dans une grande difficulté financière ». Etienne Fourmont, agriculteur en Sarthe et petit-fils d’exploitants agricoles souligne « lors de l’après-guerre, durant les Trente glorieuses, on a demandé aux paysans de produire toujours plus afin de nourrir la France et ils ont fait ce qu’on leur a demandé de faire, ils ont produit à fond. » Or aujourd’hui la concurrence avec les pays européens est très forte et de nombreux agriculteurs sont dans une grande difficulté financière pour la simple raison qu’on les a poussés à s’endetter », dénonce une spécialiste du monde paysan. Une souffrance financière à laquelle s’ajoute une autre forme de pression liée aux injonctions écologiques. Nous sommes devenus les fusibles d’un système qui a changé de cap. On sait maintenant que le souci n’est plus la quantité mais bien a qualité, produits locaux, artisanaux, en circuit court sont plébiscités… A juste titre, mais que fait-on de tous ces investissements qui en ont ruiné plus d’un ?
Le BIO, emblème de « ce qu’il faut faire » est « un mode de production qui a recours à des pratiques agricoles et d’élevage, soucieuses du respect des équilibres naturels. Ces produits sont soumis à des exigences réglementaires strictes et à des contrôles fréquents. » Un modèle qui se révèle plus onéreux. En effet, il faut prendre en compte le prix de la certification, l’alimentation réglementée, le temps de production plus long. A une période où le pouvoir d’achat des Français diminue considérablement, il n’est pas toujours facile d’être dans un juste prix. Une autre problématique les accable, une forme de doxa qui condamne le plus souvent le monde paysan. Une partie de la population ne nous comprend pas, il y a un décalage qui s’est créé au fil des années. » L’agricultrice ajoute « c’est pour cela que nous tenons à la vente directe pour expliquer aux consommateurs ». Malgré la vision vieillissante que l’on peut garder du monde agricole, Valérie ajoute « il est difficile de faire comprendre de prime abord, en revanche, en expliquant les choses on y arrive ».
Un monde agricole en souffrance
Un rapport avec leurs clients qui leur permet un lien social indispensable alors que le métier enregistre le plus fort taux de suicides, devant les forces de l’ordre. Autrement dit : un agriculteur se suicide chaque jour en France selon Solidarité Paysans ». Ils ajoutent « la reprise des exploitations n’a jamais été aussi problématique, on compte aujourd’hui 400 000 agriculteurs contre 1,2 million dans les années 1990 ». Madame Courtois, productrice de lait et de viande bovine conclut « vivement que les gens n’aient plus à manger dans leur assiette pour qu’ils comprennent. Il faudra en arriver à un système de pénurie pour qu’ils se rendent compte que l’on a besoin de nous laisser travailler ». Compte tenu de ces divers constats, que nous faut-il de plus pour retrouver l’équilibre avec ce monde agricole en souffrance ?
ENCADRES
Pour faire face à ces difficultés, il existe de nombreux des réseaux tels que Solidarité Paysans, Agri sentinelles, la plateforme Agri collectif ou la cellule Réagir.
Solidarité Paysans accompagne par de la médiation auprès de ses partenaires institutionnels, notamment auprès des créanciers et au cours des procédures judiciaires.
Le réseaux Agri sentinelles forme les salariés des coopératives, très proches des éleveurs sur leurs exploitations, afin d’aider les agriculteurs en difficulté ou en détresse psychologique pour les orienter vers les dispositifs d’accompagnement existants.
La plateforme Agri collectif regroupe en un seul et même site toutes les solutions mises à disposition d’un agriculteur qui rencontre des difficultés qu’elles soient économiques ou psychologiques.
Dispositif Réagir au sein de la Chambre de l’agriculture permet de soutenir les agriculteurs en difficulté
Témoignage : « trois jours avant la vente [de la ferme] un bénévole a glissé un papier sous ma porte parce que je n’ouvrais plus à personne. Je l’ai appelé, le lendemain il m’a accompagné au tribunal. »