La culture fait-elle toujours son cinéma ?

Après plus de huit mois de fermeture, toute la filière cinématographique a durement été affectée par la crise de la Covid-19 et le « pass sanitaire » n’a pas été mis en place sans conséquence. Jean Pierre Fonteneau directeur des « Cinéville » de Vannes nous livre un état des lieux au terme de ces deux ans de « privations culturelles »

 

Comment s’est déroulée la réouverture des salles le 19 Mai 2021 ?

 Malgré un très bon retour du public et de nombreux films sortis à cette période, le pass sanitaire a malgré tout été un grand frein, pour l’anecdote on a quand même perdu 50% de nos entrées en une semaine. Au début, les gens ne savaient pas de quoi il s’agissait, il n’y avait pas eu assez de communication de la part de l’État, entre les tests, les différents vaccins et les délais, les gens étaient perdus. Donc cela a été très compliqué les premières semaines, puis progressivement les gens ont intégré son fonctionnement. Ce fut plus ou moins correct par la suite, néanmoins on a senti une baisse de -20% à -30% de notre fréquentation habituelle.

Vous pensez que c’est une bonne chose ce pass sanitaire ?

 Aujourd’hui, je ne pense pas que ce soit le meilleur outil mais cela réduit et limite la propagation du virus. Néanmoins on est tous conscients qu’il y a des faux qui circulent, que certains ne respectent pas les règles. Mais si les gens jouent le jeu du pass sanitaire et des gestes barrières, on a de bonnes chances de pouvoir travailler tranquillement et de maintenir nos activités sans avoir à fermer.

Vous avez évoqué un manque de communication de l’État, c’était donc à vous d’expliquer le fonctionnement du pass sanitaire ?

 En fait les informations, nous les avons trouvées en allant sur Internet ! À aucun moment il n’y a eu de communication ou d’information précise qui venait de l’État. Il n’y a pas eu d’anticipation ni de campagne au début de l’été, alors que le gouvernement est capable de faire des campagnes sur la vaccination.

Avez-vous eu des retours de vos spectateurs, concernant le manque de culture pendant ce confinement ?

Globalement oui, nous nos sommes rendus compte que les gens avaient envie de revenir ! Quand on coupe pendant plus de six mois il y a un manque, c’est pour cela que l’on reste aussi confiant sur l’avenir car la culture est essentielle. C’est juste qu’actuellement, il y a encore une incertitude, une instabilité concernant cette situation sanitaire. Pour vous donner quelques chiffres, sur le site de Parc Lann on a retrouvé en gros 80% de nos spectateurs, tandis que pour la Garenne on est à plutôt 70%. Mais je suis persuadé que cela reviendra.

Quels sont les films qui marchent le mieux ?

Ce qui marche bien, désormais ce sont les films qui, traditionnellement, étaient un succès dans les centres-villes auprès d’une population très urbaine. Par exemple, on a très bien marché avec le film “Dune” et cet été avec ”0SS 117”, qui sont des films destinés spécifiquement aux jeunes adultes et aux étudiants. Les films français comme “On est fait pour s’entendre”, qui traitent de sujets d’actualité ou sociaux, mais de façon assez légère fonctionnent bien. Étonnamment pour les gros blockbusters c’est plus compliqué, plus poussif.

Maintenant on retrouve surtout de nombreux “gros” films en salle, qu’en est-il des films moins “grand public” ?

 C’est une des difficultés, sur l’art et essai par exemple, néanmoins, nous nous sommes engagés à faire preuve de solidarité, ce qui veut dire sortir un maximum de films, pour soutenir tout le monde. Sachant qu’on les sort, dans des conditions moins favorables qu’avant, et que s’ils ne font pas assez d’entrées, on ne les garde, bien évidemment, pas très longtemps en salle. C’est un peu la difficulté, nous sommes dans une phase au cours de laquelle il faut “absorber” tous ces films et cela va encore durer plusieurs mois avant de retrouver une régulation.

Ne pensez-vous pas qu’il soit dommage de devoir « désengranger » tous ces films rapidement en salle, cela ne dénature-t-il pas avec le 7ème art ?

Le problème est que, pour des distributeurs, il s’agit d’une situation de survie, si on ne sort pas leurs films et qu’ils n’ont pas de recettes, économiquement cela les met en péril, donc il faut de toute façon qu’ils les sortent, qu’ils puissent continuer de travailler.

Avec le développement des plateformes de SVOD cela n’a-t-il pas accentué ce phénomène ?

 N’est-ce pas un mal pour un bien ? Les séries sont très nombreuses sur les plateformes et souvent de très bonne qualité mais cela est plus rare pour les films et je ne vous cache pas que certains distributeurs espèrent sortir directement leurs films sur une plateforme. Dans les temps à venir je pense qu’il y aura une régulation entre les plateformes et la salle.

Donc cela deviendra deux entités qui cohabitent dans le même domaine ?

Je ne pense pas que nous arrivions à une situation de concurrence mais davantage à une  “organisation”, une régulation au regard de la typologie des films qui auront leur place au cinéma et d’autres qui partiront vers la plateforme. Cela ne date pas d’aujourd’hui, on dit déjà depuis longtemps qu’« il y a trop de films ». Et il faut noter que certaines sorties en salle n’ont pas le niveau technique pour cela, le cinéma, c’est un degré d’exigence dans la fabrication, dans la construction d’un scénario, d’une histoire or, aujourd’hui malheureusement, ils ne sont pas toujours très bons et je ne sais pas si c’est à la salle de cinéma de les sortir.

Quelle plus-value apporte la salle de cinéma ?

 Elle aura toujours cet avantage d’offrir une expérience qui est différente de la télévision, il faudrait avoir une très grande maison pour se retrouver dans les mêmes conditions qu’une salle de cinéma, ce qui est plutôt rare. Cela reste une expérience, une sortie, un lieu finalement de partage collectif, c’est toujours agréable de se retrouver dans une salle pleine et de vivre le film ensemble.

Pour conclure et ce sera ma dernière question : votre situation économique va-t-elle mieux depuis cette rentrée ?

 Pour le moment c’est encore un peu compliqué, on a eu des aides pendant la fermeture or elles n’ont pas couvert l’ensemble de notre activité et nous restons en dessous de notre ancien fonctionnement. Mais cela ne veut pas dire que nous sommes en déséquilibre. On fait 80% de notre chiffre d’affaires, cela veut dire moins de trésorerie et moins de capacité à investir dans nos cinémas où dans nos projets, c’est économiquement frustrant, mais on vit avec la conviction et l’espoir que cela va s’améliorer.

Ce qui pourrait redonner confiance ce serait le fait de passer une année entière sans confinement, et les esprits seront plus libérés.

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