Violences conjugales : parler, le prix de la liberté

113 femmes tuées en 2021. 16 depuis le début de l’année. Violences conjugales. Des chiffres et des mots terrifiants.

Et Lisbeth* qui accepte de parler. Son histoire : 20 ans de vie de couple. Deux enfants. Puis l’enfer. Pendant trois ans, peut-être plus. Tout a changé sous l’effet de l’alcoolisme de son conjoint, l’isolement, le déni, la solitude, le manque d’informations, elle se retrouve prise au piège, tétanisée, sous emprise, dans l’impossibilité psychologique de réaliser qu’elle est victime de violences. Elle parvient pourtant à fuir en 2015. Première plainte pour harcèlement en 2017. Composition pénale mais non-respect à l’injonction d’éloignement. Plainte pour viol. Et tout s’accélère. Mise en détention provisoire en 2018, prison en 2021. Mais l’enfer qui continue par agression avec arme par un proche de son conjoint, harcèlement par appels inconnus, tambourinement au domicile.

D’une rencontre amoureuse banale chez des amis à un cauchemar destructeur, un témoignage glaçant le sang.

Elle veut briser l’omerta. Lisbeth. Victime de violences conjugales, elle s’efforce de libérer la parole. Exercice si difficile. Recroquevillée dans un canapé, cette guerrière auto-proclamée a toutefois les traits tirés et le reconnait d’emblée, parler semblait inenvisageable lorsque l’on a enduré, manipulation, persécution et remise en question. Pourtant, parler l’a sauvée. Tandis que seize féminicides ont été perpétrés depuis le début de l’année, elle souhaite éclairer celles et ceux qui n’ont pas conscience d’être enrôlés dans un processus d’emprise. « Est-ce qu’une femme qui se fait violer par son conjoint se rend vraiment compte qu’elle est dans le déni, que ce sont des viols ? ». Elle doute encore, elle qui a si longtemps été dans le déni, ce mécanisme de défense bien connu qui permet de ne pas sombrer mais qui enferme et empêche toute possibilité de s’en sortir.

La parole est la boussole

Un déni qui est également lié à une profonde solitude, à une incroyable méconnaissance du problème, « il y a un manque d’éducation de la population notamment sur les différentes catégories de violences ». Avec conviction, elle signale « qu’il n’y a pas une seule violence, c’est-à-dire frapper, mais bien cinq ». Elle l’ignorait. Comme bon nombre de personnes. « Je n’avais pas de bleu, alors je me suis dit que je n’avais pas de preuve. Mais on peut être mal, même quand ça ne se voit pas. C’est en parlant, en m’exprimant que je me suis rendu compte que j’avais vécu plusieurs violences ». Néanmoins, hésitante, elle ne parvient toujours pas à les qualifier. Verbales. Psychologiques. Économiques. Sexuelles. Physiques. Ces qualificatifs « devraient s’apprendre à l’école comme on apprend à dire merci, bonjour, au revoir ». La solution de prévention : « mettre en avant les documents existants sur la violence, avant qu’il ne soit trop tard ». « Bien souvent, on voit la victime arriver à la gendarmerie » brisée par trop de souffrances.

Le violentomètre. Ce « super outil » mesure la violence au sein du couple. Son enthousiasme traduit un véritable apport. Il lui a permis de poser des mots sur ce qu’elle a subi. « N’importe qui peut détecter une violence intraconjugale. Tu discutes avec une copine qui commence à se confier, tu sors la spirale de la violence ». Lisbeth regrette « qu’on ne la voit pas plus. Ça devrait être affiché partout ». Lanceuse d’alerte, celle qui ne croit plus en la bienveillance trouve pourtant la force de mettre en garde. « Tout commence insidieusement », son regard se voile, se perd dans le vide. Elle se souvient de la petite musique qu’elle a cru sonner comme de l’amour. « Tu m’appelles quand t’es sortie du travail. T’étais où ? T’as fait quoi ? Tiens t’es bien habillée aujourd’hui. ». Elle voulait tant que ce soit de la bienveillance. Quand réalise-t-elle que cette petite musique est celle du contrôle, qui ronge comme de l’acide ? Les questionnements, les doutes, entêtants, comme un refrain. Pour toutes prémices d’un malaise, elle avertit « qu’il peut y avoir quelque chose. Il ne faut pas passer outre. Il faut se confier à quelqu’un. ». La parole éclaircit, « elle éclaircit le mal-être. Quand on discute parfois, on lâche une chose minime de notre histoire par rapport à ce qu’on vit. Rien que ça, la personne en face est déjà choquée. Si on libère la parole vraiment, on est obligé d’ouvrir les yeux. ». « Essayer de suivre votre instinct. Si on s’était écouté dès le début, ça n’irait peut-être pas si loin. » D’une voix tremblante, Lisbeth confie « je ne suis pas vraiment l’exemple de la personne qui a fait les choses rapidement. Au contraire. ». Alors que son conjoint la violait, elle martèle : « Parler. Parler. Parler. » Or, « il est très difficile de trouver les bonnes personnes », il faut se rendre à l’évidence « bien souvent, on n’a plus rien ». « Lorsqu’une personne endure des violences, elle n’est pas bien entourée dès le départ et quand il y a besoin, il n’y a plus grand monde. La famille pense que vous exagérez. Les amis vous répondent, t’aurais pu te bouger avant, pourquoi tu ne m’as rien dit. Les amis qui connaissent le conjoint, c’est comme si vous n’en aviez pas, ils vous ignorent. ». Isolée de tous, celle qui se qualifie comme « hyper empathique », ne veut pas en vouloir à ses proches. Elle sensibilise tout de même. « N’attendez pas forcément de certaines personnes qu’elles vous aident ». Elle conseille de « chercher ailleurs, une association, le médecin généraliste, un psychologue, la pharmacie, l’école. » Surveillance au domicile et menaces l’ont persuadée de se faire accompagner. Elle le reconnait, cet éveil de conscience « a été très très tardif dans mon histoire parce que je ne me suis pas beaucoup confiée ».

Et les Copains d’abord …

Dès qu’elle a contacté l’association vannetaise « les Copains d’abord », « il y eu des réponses à mes questions. » Les larmes débordent. Elle devient muette. Regrette d’avoir perdu tant de temps, « j’aurais dû la connaître bien avant ». Néanmoins, ce n’est pas faute d’avoir essayé. « J’ai cherché CIDFF, mais… ». Elle souffle. L’expression d’une insignifiance. « Ouvert seulement trois heures par jour, ça ne m’a absolument rien apporté ». Heureusement elle a continué à chercher et ne regrette pour rien au monde d’avoir osé. Osé s’exprimer. Cette association lui offre « la sécurité, l’amitié, l’entourage. Tout. Tout ce que je n’ai pas ». De nouveau recroquevillée dans le canapé, elle semble vouloir disparaitre, s’effondre et ne cherche même plus à essuyer ses joues. Les larmes s’effaceront seules. Elle a perdu du temps. Malgré tout, Lisbeth persiste d’une voix sourde et affirme sa reconnaissance, « il existe des solutions ». Il faut simplement les connaitre, être aidée parce que « quand on vit ces violences, on arrête de travailler, on grossit, on n’a plus d’argent. L’association a tout. On peut avoir des vêtements, des meubles, de l’aide. Ils sont là eux. C’est même au-delà de l’espérance. En plus de tous les conseils ». Elle le reconnait, sans détours, « c’est devenu ma première famille » avec ses deux enfants qui sont sa raison de vivre. « Si il n’y avait pas mes enfants, je n’aurais aucune raison d’être là ». Sans peine à le révéler. Sans peine à pleurer. Sa famille adoptive permet de maintenir la lumière qui menace de s’éteindre sans cesse. « Ce n’est pas un soutien seulement quand je pleure. C’est un soutien tous les jours. Je n’ai jamais autant été accompagnée dans ma vie. Cela aide à ne pas culpabiliser. Ils nous rassurent. C’est moi la victime ». De « l’horreur » endurée par son manipulateur, son agresseur, son violeur, le « géniteur de mes enfants » au bonheur de son sauveur, elle reprend des forces. Elle se veut à l’écoute, de ses peurs, de ses pleurs. Parce que le silence tue. « Pendant que l’on se tait, on cogite et on continue à se faire détruire. Plus on se fait détruire, plus on cogite seule, et plus on croit que l’on exagère. Quand on se tait, c’est parce qu’on ne trouve pas la perche autour de soi. Mais « si on se tait, c’est très difficile d’être aidée. ». À présent, « je suis une femme libre. J’ai peur libre, ce n’est pas pareil que d’avoir peur et d’être prisonnière. ». Optimiste alors qu’elle est à bout, elle dit « ne pas se décourager. Il faut se dire que tout est possible ».

Contacter le 3919. Gratuite et anonyme, la plateforme d’écoute des victimes de violences conjugales, sexuelles et sexistes est joignable sans interruption

Vincent Fontanieu président de l’association Copains d’abord tel. 06 47 25 16 49

*Nom d’emprunt

Please follow and like us:
RSS
Follow by Email
Instagram