Ukraine / Russie : Une guerre aux portes de l’Europe ?

Depuis plusieurs semaines, la Russie envoie des milliers de militaires le long de sa frontière avec l’Ukraine. Des troupes, des chars et des armes lourdes sont massés aux portes du Donbass (territoire de l’Est de l’Ukraine). Une situation qui fait craindre aux dirigeants ukrainiens et aux observateurs internationaux une possible invasion du territoire frontalier de la Russie. Une invasion qui pourrait potentiellement déclencher un conflit mondial avec le jeu des alliances militaires.

Pour comprendre la situation, il faut revenir neuf ans en arrière. En 2013, le président ukrainien à l’époque au pouvoir, Viktor Ianoukovytch (proche du pouvoir russe) décide de suspendre l’accord d’association entre l’Ukraine et l’Union Européenne au profit d’un accord avec la Russie. Une décision qui déclenche une vague de protestations dans le pays, la révolution de Maïdan (du nom de la place centrale de Kiev, capitale du pays). Les manifestations sont sévèrement réprimées : plus d’une centaine de morts et des milliers de blessés. La Révolution entamée fait tout de même fuir Ianoukovytch en Russie. Destitué de son titre de président, il sera par la suite accusé d’avoir détourné des milliards de dollars d’argent public.

Annexion de la Crimée et conflit dans le Donbass

Profitant de la déstabilisation du pays, la Russie annexe la Crimée : région du Sud du territoire ukrainien (plutôt russophone) hautement stratégique pour son port de Sébastopol et son contrôle de la Mer Noire. Puis c’est au Tour du Donbass de connaître des perturbations. Ce territoire de l’Est de l’Ukraine est extrêmement important économiquement. C’est la région la plus riche et la plus peuplée du pays avec la présence de bassins miniers et d’industrie lourde : 25 % des richesses de l’Ukraine sont produites dans cette zone. Cette région connaît toutefois une répartition ethnique très partagée : 48,15% de russophones et 46,65 % d’ukrainiens.

Des combats s’engagent entre séparatistes pro-russes (en faveur d’un rattachement à la Russie et soupçonnés d’être soutenus financièrement et militairement par Moscou) et le gouvernement ukrainien. Un conflit latent qui a déjà fait plus de 13 000 morts. Si les affrontements avaient diminué ces dernières années, l’afflux massif de soldats russes à la frontière fait craindre qu’ils reprennent de plus belle.

Quelles exigences pour les deux parties ?

La Russie est pointée du doigt par tous les acteurs occidentaux. Pour autant, la situation est loin d’être manichéenne. Sans dédouaner la Russie de ses provocations (annexion de la Crimée), c’est bien l’OTAN (alliance militaire créée en 1949 par les États-Unis et plusieurs pays d’Europe pour faire face à l’URSS) qui a allumé la première mèche. En échange de la réunification des deux Allemagne, l’OTAN s’était ainsi engagée à ne pas s’étendre dans l’ancien bloc de l’Est. Si les termes exacts de cet accord sont contestés, il est respecté dans un premier temps. Mais en 1999, l’OTAN invite la Pologne, la République-Tchèque et la Hongrie à entrer dans l’organisation. Puis c’est au tour de la Bulgarie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie d’intégrer l’alliance, sept anciens pays du bloc de l’Est…

Les exigences de Vladimir Poutine sont claires : que l’OTAN s’engage à ne pas s’élargir en Ukraine et le retrait des positions militaires de l’OTAN sur les frontières de 1997, c’est-à-dire avant que l’organisation n’accueille d’ex-membres du bloc soviétique. Personne ne peut balayer d’un revers de main ces prétentions de ne pas avoir de troupes américaines à ses frontières. Cependant, le président Russe se plaint de ne pas être écouté par les partenaires occidentaux : « Il est désormais clair que les préoccupations fondamentales de la Russie ont été ignorées ».

Dans l’escalade des tensions, le dialogue n’est pas rompu. Les chefs d’États européens ont entamé un ballet de visites diplomatiques : visite de Boris Johnson (Premier Ministre britannique) en Ukraine, visite du chancelier allemand Olaf Scholz le 14 février en Ukraine et le lendemain en Russie, rencontre entre Vladimir Poutine et Emmanuel Macron lundi 7 février, puis Volodymyr Zelenski (président ukrainien) le lendemain.

Emmanuel Macron a réaffirmé sa volonté de travailler en collaboration avec la Russie pour tenter de faire baisser la tension aux frontières ukrainiennes. AFP/Thibault Camus

Emmanuel Macron a rencontré Vladimir Poutine lundi 7 février 2022 (© AFP/Thibault Camus)

De cette situation aux allures de Guerre Froide, un acteur émerge franchement à côté d’une Europe en demi teinte : les États-Unis. Le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken et son homologue russe Sergueï Lavrov se sont rencontrés le vendredi 21 janvier 2022 à Genève et ont enchaîné les discussions téléphoniques. Des pourparlers qui n’ont, pour l’heure, aucunement débouché sur une solution concrète.

Si la Russie paraît isolée, elle peut tout de même compter sur quelques alliés. La Biélorussie tout d’abord. Le président Alexandre Loukachenko a notamment envoyé des contingents de son armée à la frontière ukrainienne pour faire des exercices d’entraînement militaire conjoints avec les soldats russes, officiellement… Mais son plus gros allié pourrait être la Chine. Les deux pays se sont rapprochés ces dernières années (au fur et à mesure que la Russie s’éloignait des Occidentaux) : commercialement et militairement (Organisation de Coopération de Shangaï). Surtout, leur gros point commun réside dans le fait qu’ils voient d’un très mauvais œil la domination mondiale des Américains.

La guerre tant redoutée paraît peu probable, l’équilibre de la terreur et la dissuasion nucléaire faisant loi. Pourtant, l’escalade de tensions se poursuit et des batailles ne sont pas à exclure ici et là. Chaque camp veut sortir de cette situation sans perdre la face, une équation compliquée.

D’autres intérêts enfouis

D’autres intérêts sous-tendent également cette situation. Les rapports entre la Russie et l’Europe ne sont pas distendus dans tous les secteurs et plus particulièrement celui de l’énergie. En effet, Gazprom (groupe public russe) fournit plus de 40 % des importations de gaz de l’Europe et plus de 20 % de sa consommation annuelle – et plus on se déplace à l’Est, plus le pourcentage de dépendance au gaz russe augmente –

Il faut comprendre que la Russie peut couper les vannes à tout moment, or l’Europe ne peut se passer du gaz russe. Pour autant, cette dépendance est à double tranchant, en effet, l’Europe est le premier client de la Russie pour son gaz, et, l’économie russe, déjà frappée par des sanctions économiques de l’Union Européenne et des États-Unis, ne peut se permettre de perdre son client le plus important.

Ce scénario constituerait pourtant une aubaine pour le voisin outre-Atlantique qui pourrait vendre son gaz de schiste liquéfié. Avec un transport par bateau qui serait toutefois beaucoup plus cher pour les Européens. Un jeu d’échecs assez complexe dans lequel chaque camp peut sortir perdant.

Please follow and like us:
RSS
Follow by Email
Instagram