« L’IMPORTANT N’EST PAS DE GUÉRIR MAIS DE VIVRE AVEC SES MAUX »

En France, selon les chiffres de l’Orcip, douze millions de personnes seraient touchées par un handicap. Du jour au lendemain, tout peut basculer. Certains l’ont vécu et le vivent au quotidien. Ainsi un nouveau défi se dresse devant eux : Se reconstruire et vivre leur seconde vie. Le sport se révèle être un formidable outil de motivation, de confiance en soi et de bien-être.

« Constitue un handicap, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant. », loi du 11 février 2005, art. 14.

À la lecture de cette définition, on réalise que le monde du handicap est large et qu’il englobe un grand nombre d’individus. 9,6 millions de personnes soit 14% de la population française présente un handicap. Un chiffre inimaginable et « inimaginé ». En 2019, l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire a recensé 16,43 millions de licences sportives. Du côté du handisport, ce nombre s’élevait à 97 500 soit à peine 0,6 % du nombre total de licenciés.

Le point de départ

Grégory Leray avait 23 ans. Mécanicien de métier, il adore passer son temps dans son garage pour travailler sur sa voiture ou bien ses motos. Il est également pompier volontaire à Vannes. Comme son père qui s’était engagé en 1973, il avait décidé de suivre sa voie, le sport c’était son quotidien,« j’ai toujours été sportif sans être impliqué dans une spécialité en particulier ». Mais au mois de juillet 1998, sa vie bascule, au guidon de sa moto, il subit un accident à haute vitesse. Il en ressortira vivant mais perdra l’usage de ses jambes. Il n’a pas eu « de section de moelle mais une torsion comme lorsqu’on essore un chiffon », ce qui a eu pour conséquence une paraplégie complète. Malgré une période de rééducation au Centre de Kerpape, il n’a pas récupéré l’usage du bas de son corps, ni muscles, ni sensibilité.
Dans le cas d’un handicap physique ou moteur, l’objectif va d’abord être de reprendre le contrôle de son corps ou de récupérer des sensations perdues. « Au quotidien nous allons aider les personnes en situation de handicap à retrouver leur autonomie dans leurs activités de la vie quotidienne » affirme Sandra Renard, ergothérapeute au centre hospitalier de Saint-Malo. Depuis l’année dernière, elle travaille en collaboration avec une équipe pluridisciplinaire composée de kinésithérapeutes, ostéopathes, spécialistes du sport ainsi que des enseignants en Activité Physique Adapté (APA). Elle ajoute que ces derniers « vont utiliser le sport afin de retrouver des fonctions motrices qui ont été affectées suite à un accident. Ils vont viser la reprise de l’activité sportive, soit comme la personne le faisait avant si cela est possible, soit en étant redirigé vers le monde du handisport où les règles sont adaptées et aménagées ». Le sport apparaît comme une suite logique, un moyen de travailler sa force musculaire, son équilibre et sa coordination de façon ludique. Lorsque le handicap est survenu brutalement (accident…), il aide à se réapproprier son corps et à intégrer de nouveaux automatismes. Charlène Hervé, enseignante APA à l’hôpital de Saint-Malo, explique que, dans son métier, « on différencie le sport et l’activité physique », l’activité physique consistant simplement à bouger, à être en mouvement. Le but est de « les aider à retrouver une mobilité et une activité physique comme une simple marche à pied, ça va être très important dans la reconstruction du patient », et si tout se passe correctement, le sport peut être proposé aux patients. Cela va leur permettre d’améliorer leurs conditions de vie et leur bien-être.

Un rôle majeur

Que l’on soit sportif de haut niveau ou simple amateur, le sport offre la possibilité d’être soi-même, de se dépasser, de (re) trouver une estime de soi, de se (re) développer après une blessure. Pour Antoine Dupont, masseur-kinésithérapeute ostéopathe à Arradon, « il n’y a pas de bon ou de mauvais sport. Il y a ceux qui plaisent ou ceux qui ne plaisent pas. Certains vont davantage se retrouver en faisant du yoga, d’autres en faisant du squash. ». Selon lui, l’important est qu’« à partir du moment où la tête suit parce qu’elle est contente de faire quelque chose, le corps suivra derrière ». Une vision que Sandra Renard partage puisque « cela va permettre aux patients de se défouler, de lâcher prise et surtout de penser à autre chose ». Remettre le pied à l’étrier et tromper l’ennui. Quel que soit le sport.

Huit mois après son accident, Grégory réalise sa première compétition de fauteuil athlétisme. Il en fera pendant dix ans. C’est en 2010 qu’il décide de troquer son fauteuil d’athlé pour le handbike. Depuis, il ne cesse de travailler, s’entraînant parfois jusqu’à trois heures par jour, six jours sur sept. Grégory ne s’en cache pas « je suis un compétiteur dans l’âme, je ne marche qu’à ça. Je ne peux pas m’entraîner sans avoir de réels objectifs ». Il a eu l’occasion de réaliser des courses aux Pays-Bas, en Italie, en Belgique mais également au Canada sous le brassard de l’équipe de France en 2015. Ce qui lui plaît davantage, ce sont les épreuves de coupe du monde « il y a vraiment du monde, de la bagarre, ça roule vite et fort et moi je fonctionne à ça ».

Pour Katell Alençon, 34 ans, cycliste professionnelle, la pratique du vélo se conjugue en milieu « classique » et handisport. En tant que sportive de haut niveau, elle a réussi à intégrer l’équipe de France ainsi que la team Cofidis Sport Handisport. A l’évocation de son handicap, cette cycliste chevronnée le dit d’emblée, c’est « une histoire un peu compliquée ». « À la suite d’une chute de vélo, j’ai fait une entorse de la cheville qui n’a jamais réussi à guérir et j’ai galéré pendant cinq ans. J’ai fait une nécrose osseuse et cutanée donc je n’ai pas pu marcher pendant 5 ans. Je me suis retrouvée en béquille puis en fauteuil roulant. Je ne pouvais plus rien faire, ni faire de vélo ou conduire ». Une longue période qui a été compliquée à vivre. Elle l’a vécue dans divers centres et hôpitaux et a « vu plus de 45 médecins différents ». D’une manière nostalgique elle nous confie que « les années des vingt ans sont censées être les meilleurs, chez moi ça n’a pas été le cas puisque je me suis retrouvé entre hôpital et galère ».

Crédit photo : Le Télégramme (Patricia Mérer)

Au bout de trois ans de maladie, elle réclame l’amputation. « C’était vraiment mon objectif d’obtenir cette amputation parce que ça me redonnait la possibilité de faire plus de choses qu’en fauteuil, de refaire les choses comme avant et d’avoir une vie normale. Et ça été le cas donc je n’ai aucun regret ». Cette décision avait sur le coup bousculé le monde médical qui la suivait. Tous avaient misé sur le fait qu’elle ne marcherait plus et ne pourrait plus jamais faire de vélo.

Mais la détermination de Katell en a décidé autrement : « J’étais décidé à refaire tout ce qu’on m’avait interdit. C’était important pour moi de prouver au monde médical qu’ils avaient eu tort ». Après une amputation tibiale, elle débute sa période de rééducation. « Neuf jours après l’amputation je refaisais mes premiers pas donc c’était top et quinze jours après je refaisais mes premiers tours de pédales. Ce n’était pas comme avant mais j’étais quand même debout sur un vélo ».

Une raison de vivre

Le handicap peut limiter les activités et la vie sociale, et le sport peut s’avérer être un outil pour surmonter un handicap, un accident physique ou psychologique. Afin de ne pas rester isolé, il faut apprendre à faire les choses autrement. Dépasser ses blessures pour acquérir ou retrouver une bonne image de soi, en faire une force et rebondir.

Antoine Dupont l’assure : « Dans la reconstruction du patient il est important de trouver des gens qui sont confrontés au même handicap et qui ont réussi à s’en sortir. Finalement, s’interroger soi même et se demander, si il ou elle a réussi, pourquoi pas moi ? Il y a un énorme travail psychologique derrière ». Une situation qui fait écho à Grégory puisque la prise de contact avec un athlète handisport a été l’élément déclencheur qui l’a lancé dans l’athlétisme pendant dix ans. « Fin juillet 1998, j’ai eu mon accident, début août j’arrivais sur Kerpape et je crois que j’ai rencontré Philippe Le Gouic en octobre. Lui était un athlète handisport et faisait du fauteuil d’athlétisme. C’était un membre de l’équipe de France qui habitait dans le coin et qui partait à l’entraînement. Étant mécanicien de métier, j’ai trouvé son fauteuil stylé, sympa et une belle machine globalement. Au retour de son entraînement on a approfondi la discussion et c’est à ce moment-là que je me suis dit que je devais foncer ». En quelques mois, Grégory a su accepter son handicap assez rapidement et s’est convaincu qu’il était capable de se lancer dans cette pratique sportive.

« Tant que la personne n’a pas accepté son handicap, on ne peut pas avancer, on ne peut pas faire grand-chose. Cette phase d’acceptation, elle peut être rapide ou extrêmement longue parce qu’on est dans le déni permanent » observe le kinésithérapeute. Un moment similaire vécu à nouveau par Grégory lors de son entrée en rééducation. «Lorsque je suis rentré à Kerpape, on était sept motards. C’était pas mal sur vingt clients, le ratio est bon. Il y en a un qui était là depuis le mois de mai et lui n’avait clairement pas accepté son handicap. Je l’ai revu par pur hasard lors d’une visite à Kerpape il y a deux ans et en fait il est exactement le même qu’il y a vingt ans. Il n’arrive pas à l’accepter et il est resté bloqué en 1998 ». Il insiste également en expliquant qu’il ne faut pas s’arrêter au moindre obstacle. Il faut prendre les problèmes un par un et voir s’ils sont « solutionnables » ou non parce que « si tu commences à arrêter tout ce que tu aimes, forcément tu prends des claques dans tous les sens. Pour moi c’était la moto. Le problème c’était l’équilibre donc on a rajouté une roue ».

Il conclut ainsi : « Je déteste ne rien faire. Même quand je rentre d’un long entraînement et que j’ai pris ma douche, je vais dans mon garage. Je ne suis jamais dans mon canapé à regarder la télé. Pour moi, la clé pour me reconstruire, ça a été de bricoler et de faire du vélo. Tu m’enlèves un des deux je suis bancale, j’ai une jambe en moins. Sincèrement si demain je ne pouvais plus ni bricoler ni faire du sport bah … (il souffle). Franchement la vie est belle, il y a tant de choses à faire et sans tous ces projets ce serait vraiment moins fun ».

 

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